« When ideas have sex »

Une conférence de Matt Ridley sur TED. Absolument brillant : à voir absolument !


L'expérience de fiat monnaie continue

Le mardi 30 août, Charles Evans, le président de la Fed de Chicago, estimait que la banque centrale américaine pourrait mettre en œuvre une politique monétaire encore plus accommodante malgré les signes d’amélioration de la conjoncture. Le même jour, Narayana Kocherlakota, son homologue de Minneapolis déclarait qu’il était susceptible de reconsidérer son opposition à un nouvel « assouplissement ». Voilà donc deux des douze membres du Federal Open Market Committee (FOMC), l’instance qui décide de la politique monétaire américaine, qui évoquent explicitement leur adhésion à l’idée selon laquelle la Federal Reserve devrait se montrer encore plus accommodante qu’elle ne l’a été au cours des trois dernières années et ce, à quelques jours de la prochaine réunion du FOMC (20/21 septembre). Clairement : le troisième round de Quantitative Easing (i.e. QE3) est officiellement sur la table et l’annonce par Ben Bernanke de son intention de maintenir le taux des Fed Funds à zéro jusqu’à mi-2013 suggère même qu’il a déjà commencé.

L’expérience de « fiat monnaie », qui consiste à s’assurer de taux d’intérêt aussi faibles que possible en inondant le système bancaire américain de dollars fraîchement imprimés [1], continue.

Soyons clairs : si nous avions la preuve ou ne serait-ce qu’une intime conviction que les quelques 600 milliards de dollars injectés dans le système bancaire lors de QE2 avait eu un quelconque effet positif sur l’économie étasunienne, alors pourquoi pas 600 000 milliards cette fois-ci ? Nous aurions alors trouvé une solution radicale à la pauvreté, la faim et tous les maux qui accablent l’humanité depuis la nuit des temps : imprimer des dollars. Mais le fait est que nous n’avons aucune preuve en ce sens et quelques excellentes raisons de penser le contraire. Ce monde, décidément, manque cruellement de magie.

Voici les faits : à la fin du mois de juillet 2011, la base monétaire américaine (M0, la monnaie émise par la Federal Reserve) atteignait 2 684 milliards de dollar américains. Au total, depuis le 31 août 2008, elle a gonflé de 1 836 milliards de dollars ; c'est-à-dire que la banque centrale américaine a « imprimé » deux fois plus de dollars au cours de ces trois dernières années qu’elle n’en avait créé depuis sa fondation en 1913. Sur ces 1 836 milliards de dollars, seuls 194 milliards (11%) ont pris la forme de billets de banques dont l’essentiel circule maintenant dans l’économie. Le solde, soit 1 642 milliards (89%), est venu alimenter les comptes des banques commerciales auprès de la Federal Reserve sous forme de réserves excédentaires.

C'est-à-dire que la Fed injecte des centaines de milliards de dollar dans le système bancaire mais ce dernier ne veut plus prêter à tout va comme il le faisait précédemment ; le multiplicateur monétaire est cassé et il est cassé pour au moins deux raisons. Primo, les banques sont encore fragiles et craignent (non sans raison) une évolution défavorable de leur environnement règlementaire. Secundo, les entreprises comme les particuliers ne veulent tout simplement pas s’endetter et préfèrent accumuler une épargne de précaution.

C’est toute l’ironie de l’histoire : les keynésiens qui nous gouvernent prétendent réguler une défaillance du marché liée à un (soi disant) excès de pessimisme des acteurs de l’économie [2]. C’est cette vision du monde qui conduit nos décideurs à enchaîner plan de relance sur plan de relance et à faire baisser le niveau des taux d’intérêt à chaque fois qu’une récession se profile à l’horizon. Seulement voilà : les gens – qu’ils soient particuliers, chefs d’entreprise ou banquiers – pensent. Ils anticipent et adaptent leur comportement à leur perception du futur. Et que perçoivent-ils aujourd’hui ? Des taxes liées à l’endettement colossal de nos Etats et une instabilité règlementaire qui interdit à tout être humain doué de raison d’investir dans le moindre projet à long terme. En d’autres termes, les keynésiens nous démontrent que le pessimisme du marché n’est pas irrationnel ; il est, tout au contraire, parfaitement rationnel et trouve sa source dans les politiques de ceux-là mêmes qui prétendaient nous inciter à l’optimisme.

Reste donc une montagne de dollars qui attend de se déverser dans l’économie. Au 7 septembre 2011, la base monétaire américaine (M0) atteignait quelques 2 653 milliards de dollars soit plus du triple de ce qu’elle était il y a 3 trois ans. En 36 mois, la Fed a créé 1 802 milliards de dollars c'est-à-dire deux fois plus qu’elle n’en avait créé depuis sa fondation en 1913. Sur ce montant, environ 10% ont pris la forme de billets de banque, 3% ont permis aux banques de respecter leurs réserves obligatoires et les 87% restants sont actuellement détenus par les banques commerciales sous la forme de réserves excédentaires auprès des banques de la Fed. Ce sont donc 1 566 milliards de dollars qui ont été créés par la Fed ces trois dernières années et qui sont prêts à noyer l’économie américaine sous un déluge de « fiat monnaie ».

Le monde manque de magie mais l’histoire n’est pas avare en enseignements…C’est là que nous en sommes. La question n’est pas de savoir jusqu’où l’or peut monter mais plutôt de deviner jusqu’où le dollar peut baisser ; la réponse des apprentis sorciers de la Fed est claire : la limite, c’est zéro.

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[1] C’est une image, la grande majorité des dollars créés par la Fed le sont sous forme électronique.
[2] Les « esprits animaux » de Keynes.

Publié le 27 septembre 2011 sur 24hgold.com.

Capitalisme.fr #1

Selon les meilleures estimations dont nous disposions [1], le coût global du programme Rafale s’établissait en 2009 à quelques 40,69 milliards d’euros sur la base de 286 appareils [2]. Au total, un Rafale coûte donc 142,3 millions d’euros dont 101,1 millions en coûts de production stricto sensu et 41,2 millions qui correspondent pour l’essentiel, je le suppose, à l’amortissement des frais de développement. Les dernières fois que M. Dassault a essayé d’exporter son appareil, il semble – je dis bien « il semble » tant les ventes d’armes entre Etat sont transparentes – qu’il ait fixé son prix aux alentours de 100 millions d’euros. Et à ce prix, M. Dassault – et ce, malgré l’appui de M. Sarkozy dans son rôle de VRP de luxe – n’a pas vendu le moindre appareil. Pas un seul. Sur les conseils de son directeur commercial [3], notre avionneur a même proposé une remise de pratiquement 50% aux brésiliens (50 millions, soit le même prix que pour l’Etat français). Sans succès. Mais n’ayons pas d’inquiétudes pour Dassault Aviation : une clause du contrat signé entre l'Etat et l'avionneur garanti à ce dernier que le contribuable lui assurera une cadence de production de 11 avions par an.

Dassault Aviation est détenue à 50,5% par le Groupe Dassault et à 46,32% par EADS [4]. Créée en 2000, la European Aeronautic Defence and Space Company est issue de la fusion de l’allemand Dasa (groupe Daimler AG), de l’espagnol CASA et de la société française aérospatiale-Matra, elle-même issue de la fusion d’aérospatiale (publique jusqu’alors) et de Matra (privatisée en 1988). Aujourd’hui encore, EADS est codétenue à hauteur de 22,46% par deux actionnaires majoritaires : Daimler AG et Sogeade. Si le nom du constructeur automobile allemand ne vous est sans doute pas inconnu, vous ne savez peut être pas ce qu’est Sogeade. La Société de gestion de l'aéronautique, de la défense et de l'espace a été fondée lors de la création d’EADS sous la forme d’une holding commune à 50/50 entre l’Etat français (via la Sogepa [5]) et Désirade, une holding du groupe Lagardère, pour représenter les intérêts de ces deux investisseurs dans le groupe européen. Au fil du temps, le groupe Lagardère à réduit sa participation dans Sogeade : de 50% en 2000 à 40% fin 2008 et enfin à 1/3 depuis 2009. Au 30 décembre 2010, Sogeade détenait ainsi 22,46% du capital d’EADS contre 30,3% lors de sa création.

Aujourd’hui, EADS est dirigée par Louis Gallois. Son nom vous dit certainement quelque chose puisque cet énarque [6] a été pendant dix ans le président de la SNCF. M. Gallois a commencé sa carrière à la direction du Trésor en 1972 avant d’assurer brièvement la fonction de directeur de cabinet de Jean-Pierre Chevènement alors ministre de la Recherche et de la Technologie (1981). Il passera ensuite par plusieurs responsabilités au Ministère de l'Industrie (1982-86) et au ministère de l’Économie, des Finances et de la Privatisation (1986-88) avant de retrouver Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la Défense, en tant que directeur de cabinet (1988). C’est à ce moment que démarre la carrière industrielle de M. Gallois qui est nommé PDG de la Snecma (alors publique) en 1989, prend la tête d’aérospatiale (publique) en 1992, passe dix ans à la tête de la SNCF (1996-2006) et rejoint enfin EADS en tant que co-président avant d’en devenir le président en 2007.

Enfin, quand on parle des groupes Dassault et Lagardère, il faut inévitablement aborder le sujet de la presse. Ça ne vous a pas échappé, M. Dassault est propriétaire de Socpresse et donc de son fleuron le Figaro tandis que M. Lagardère, via Lagardère Active, contrôle des titres comme Paris Match ou Elle. L’un comme l’autre bénéficient donc la manne céleste des subventions destinées à la presse qui tombent en pluie comme dans le ciel du Sinaï. Dans notre prochain numéro, nous aborderons les aventures de Jean-Marie Messier, j6m.com, le héro du capitalisme à la française... à moins que ne change d'avis d'ici là.

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[1] Chiffres de la cour des comptes confirmés par le ministère de la défense.
[2] Nombre d’appareils commandés par l’Etat français. En comptant les 11 qui devraient êtres livrés en 2011, l’armée française devrait bientôt disposer de 104 Rafales.
[3] Qui est aussi président de la République française à ses heures perdues.
[4] le solde, 3,13%, est détenu par le public.
[5] La « Societé de Gestion de Participations Aéronautiques », une holding détenue à cent pour cent par l’Etat.
[6] Promotion Charles de Gaulle (1972).

Le gambit des pions

Aux échecs, le gambit est une manœuvre qui consiste à sacrifier une pièce – en général un pion jugé sans importance – dans le but d’obtenir un avantage stratégique sur son adversaire. Appliquée à la chose politique, les pions étant de gentils électeurs suffisamment naïfs pour croire qu’on leur veut du bien, cette stratégie peut s’avérer particulièrement machiavélique et démontrer l’absence totale de scrupules de celui ou celle qui la met en œuvre. Dernière illustration en date par Jean-Luc Mélenchon :

La dernière grande idée de Monsieur Mélenchon consiste donc à augmenter le Smic à 1 700 bruts par mois et à financer cette mesure, notamment, en limitant la rémunération mensuelle maximale des français à 30 000 euros par mois. S’il est une chose absolument certaine c’est que, d’un point de vue purement politique, la manœuvre est tout ce qu’il y a de plus rationnelle : ni vous ni moi ne connaissons beaucoup de gens payés au Smic qui refuseraient une augmentation de 350 euros bruts par mois (259 nets). Par ailleurs, ces derniers étant beaucoup plus nombreux que les quelques péquins qui gagent 360 000 euros par an, dans les urnes ça ne fera pas un pli.

Pour ce qui est de l’autofinancement du dispositif, je suis déjà plus circonspect. A vue de nez et toutes choses égales par ailleurs, si on taxait l’intégralité des salaires supérieurs à 10 381 euros par mois, le produit de cet impôt atteindrait péniblement 12,1 milliards par an à répartir entre les 3,37 millions de nos compatriotes qui sont payés au Smic : soit même pas 300 euros par tête et par mois. Je n’ai pas l’intégralité de la distribution mais cet exemple suffit à démontrer que taxer au-delà de 30 000 bruts par mois n’a absolument aucune chance de financer le Smic à 1 700 euros : on est loin du compte, il va donc falloir compléter et là, de toute évidence, il n’y a pas que les « super-riches » qui vont y passer. Accessoirement, on voit difficilement pourquoi un employeur continuerait à payer un de ses salariés plus de 30k si ce dernier se fait confisquer l’excédent ; quand le filon des avantages en nature aura été usé jusqu’à la corde, je vous fiche mon billet que des salariés payés plus de 360k par an il n’y en aura plus un seul. Et donc, qui va payer ?

D’autant plus qu’à 1 700 euros bruts par mois, un salarié payé au Smic coûtera environ 2 636 euros à son employeur sauf bien sûr si Monsieur Mélenchon décide d’augmenter les charges « patronales » [2] ; auquel cas se sera encore plus cher. Pour mémoire, l’Insee estime qu’une augmentation de 10% du Smic détruit 290 000 emplois ; le plan de Monsieur Mélenchon c’est une augmentation de 26%. Autant vous dire qu’à ce prix là il va aussi falloir sérieusement songer à un moyen de financer l’assurance chômage et ce, sans compter sur les boîtes qui auront mis la clé sous le paillasson, réduit leurs activités ou délocalisé.

Parallèlement à ça nos riches désormais bien taxés auront une solide incitation (de plus) à aller exploiter le vulgum pécus ailleurs. Si j’en crois les velléités gouvernementales d’instaurer une « exit tax » dans notre beau pays il semble qu’avant même que Monsieur Mélenchon ne soit élu, les riches ont déjà fortement tendance à aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. « Qu’ils s’en aillent tous ! » disait-il. Outre un petit problème de recettes fiscales qui va se rajouter à celui déjà évoqué plus haut, il faut aussi considérer que le riche est souvent aussi un patron – c'est-à-dire un employeur ; ai-je pensé à évoquer le financement de l’assurance chômage ?

Un autre effet amusant des chasses aux riches en général c’est que ça vous bousille toute l’industrie du luxe de manière assez radicale. C’est idiot mais les types qui font vivre les grands hôtels, l’industrie automobile haut de gamme, la haute couture, les grands restaurants, les domaines viticoles prestigieux, les gestionnaires de fortune (etc…) ce sont justement les riches. Contrairement à ce que croient beaucoup de gens, il y a encore une industrie de l’habillement en Europe ; mais entre la disparition de ses seuls clients solvables et la remontée du Smic à 1 700 euros, il est à peu près certain qu’elle ne va pas faire long feu. Vraiment, il va y avoir un vrai sujet du côté de l’assurance chômage.

Je passe rapidement sur quelques aspects purement sentimentaux : qui restaurera les châteaux de nos campagnes ? Comment nos grands crus vont-ils survivre ? Quid de la haute couture parisienne ? De nos beaux hôtels et de nos chefs étoilés ? Quand on soviétise un pays, on récupère avec l’architecture, la mode et la gastronomie soviétique. C'est un choix...

Enfin, après que cette taxe sur les super-riches se soit transformée en taxe sur les très-riches, puis sur les riches et enfin sur les moins pauvres, Monsieur Mélenchon aura définitivement réglé ce problème d’inégalité : tous au chômage ou au Smic (payé en monnaie de singe) pour les plus chanceux.

Et voilà le gambit : Jean-Luc Mélenchon n’est certainement pas bête à ce point. Quand on sait qu’on ne sera pas élu, il est beaucoup plus malin de coller une pression malsaine sur le prochain occupant de l’Elysée, de le pousser à augmenter le Smic et à plafonner les salaires et de récolter le résultat cinq ans plus tard en accusant les effets catastrophiques de la « mondialisation ultralibérale ». En substance, Monsieur Mélenchon est en train de chercher à sacrifier quelques centaines de milliers de ses pions pour gagner un avantage stratégique lors des prochaines échéances électorales … à moins que ce ne soit Marine le Pen qui rafle finalement la mise.

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[1] C'est-à-dire les 1% de nos compatriotes les mieux payés selon l’Insee (2007), une population de 133 000 personnes qui gagnent plus de 124 573 euros bruts par an.
[2] Environ 788 euros par mois (partant du principe que la réduction Fillon a sauté).

Ordre spontané, illustration #589,789,145,104

Saurez-vous repérer celui qui dirige la manoeuvre ?



Via l'ami Hohenfels que je salue au passage ;)

Laissez faire, morbleu ! Laissez faire !!

On raconte que vers 1680 Jean-Baptiste Colbert rencontra un groupe de commerçants lyonnais et leur demanda ce que l’Etat pouvait faire pour les aider à faire prospérer leurs affaires. Selon la légende, le représentant des hommes d’affaires, un certain Monsieur Le Gendre, fît une réponse toute simple au ministre : « Laissez-nous faire ».

Trois siècles plus tard, Barack Obama, président de la première puissance mondiale, se demande à son tour ce que l’Etat peut faire pour stimuler l’économie. En février 2009, il signait le « American Recovery and Reinvestment Act », un plan de relance de 787 milliards de dollars destiné à stimuler l’économie américaine. Mais cela n’a pas fonctionné. La Federal Reserve a fait baisser les taux d’intérêt à zéro et enchainé deux plans de « Quantitative Easing ». Mais cela n’a pas fonctionné. Alors Monsieur Obama envisage un nouveau plan de relance de 447 milliards de dollars et sa banque centrale prépare un troisième plan de « Quantitative Easing » [1] et vient de mettre en œuvre une opération de « twist » [2] pour 400 milliards de dollars.

Mais cela ne fonctionnera pas.

Depuis que l’homme est homme, il doit lutter pour sa survie. Même dans les premières communautés de chasseurs-cueilleurs, il fallait chasser et cueillir, il fallait dépecer, plumer, écosser, cuire et entretenir le feu pour vivre une journée de plus. Voilà une réalité pratique et simple, un absolu, une règle intangible qui s’est toujours imposée à notre espèce : notre survie et notre bien-être matériel dépendent de notre capacité à produire. On m’objectera que ce sont là des considérations bassement matérialistes et que le spirituel, la métaphysique ou le rapport au divin sont des occupations autrement plus enrichissantes. C’est possible, mais sans production nous sommes morts. C’est aussi simple et brutal que ça.

L’économie, du grec ancien « administration du foyer », est depuis l’origine une affaire privée. L’économie, c’est l’ensemble des moyens mis en œuvre par les hommes, les individus, leurs familles, les entreprises et les associations qu’ils forment entre eux pour assurer les conditions de leurs existences dans un monde où règne la rareté. L’économie n’a pas été décrétée par un gouvernement ni insufflée par une quelconque puissance supérieure ; elle n’existe que parce que les hommes veulent vivre et cherchent inlassablement à vivre mieux demain qu’hier. L’humain est à la fois son moyen et sa seule fin ; toute organisation qui nie la nature des hommes et leur volonté est vouée à l’échec.

Au cours des siècles, les hommes ont appris à améliorer leurs méthodes de travail. Ils se sont spécialisé, ont perfectionné leurs organisation et ont réalisé de stupéfiants progrès technologiques. Produire le plus possible et le mieux possible en utilisant le moins possible de ressources et de travail. C’est le rôle de l’esprit humain et c’est la cause de ce que nous appelons la croissance, ce processus qui permet, dans un monde fini, de créer autant de richesses que nos esprits peuvent en concevoir. En procédant par essais et erreurs ; mus par leurs propres intérêts et leur propres rêves, les hommes continuent, encore aujourd’hui, de faire tomber une à une les limites de ce monde.

Nous n’avons eut besoin ni de gouvernement, ni de lois pour produire tout ceci. Nous n’en avons pas eut besoin parce que nous étions déjà soumis aux plus impitoyables des gouvernements, la nature, et aux plus sévères de ses lois, la rareté, la nécessité et la causalité. L’économie a toujours existé indépendamment de la volonté des hommes d’Etat et souvent malgré elle. La seule légitimité d’un gouvernement dans cette affaire par essence privée est d’assurer le respect du droit ; c'est-à-dire de protéger nos libertés, de garantir nos propriétés et de proscrire l’usage de la violence. Le reste n’est que négation de l’économie et donc de l’humain.

Si Monsieur Obama était allé voir les hommes et les femmes qui font l’économie, il aurait compris la véritable source du mal qui frappe son pays. Il aurait appris que tous, du dirigeant de multinationale au boulanger, savent que ses plans de relance auront une fin comme ils ont eut un début. Il aurait appris que tous savent que ces plans ont été financés par de la dette publique et que cette dette publique devra, tôt ou tard, être remboursée avec leurs impôts. Il aurait appris qu’investir et embaucher sont des actes de confiance dans le futur. Il aurait appris que la Fed aura beau injecter des milliards de dollars dans l’économie et manipuler les taux d’intérêt, les entreprises n’investiront pas et les banques ne prêteront pas tant que cette confiance ne sera pas revenue. Il aurait appris, enfin, que la promesse de hausses d’impôts futurs et d’un cadre règlementaire incertain tuent cette confiance.

Si Monsieur Obama était allé voir les hommes et les femmes qui font l’économie, il saurait que l’économie n’est pas faite de grand agrégats abstraits mais d’êtres humains qui pensent, raisonnent et agissent. Il saurait que chacun de ses grands plans est voué à l’échec et ne fait que prolonger la récession de la même manière et pour les mêmes raisons que le New Deal de Franklin D. Roosevelt a échoué et prolongé la Grande Dépression des années 1930. Il saurait, enfin, que la réponse de l’économie n’a pas changée depuis Colbert et, à vrai dire, depuis la nuit des temps.

« Laissez faire, morbleu ! Laissez faire !! »[3]

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[1] Certains estiment même qu’il a déjà commencé en catimini.
[2] Politique d’aplatissements de la courbe des taux qui consiste à revendre des obligations d’Etat à court terme pour racheter des obligations d’Etat à long terme.
[3] René de Voyer, Marquis d'Argenson dans ses « Mémoires » (citation complète : « Laissez faire, telle devrait être la devise de toute puissance publique, depuis que le monde est civilisé... Détestable principe que celui de ne vouloir grandir que par l'abaissement de nos voisins ! Il n'y a que la méchanceté et la malignité du cœur de satisfaites dans ce principe, et l’intérêt y est opposé. Laissez faire, morbleu ! Laissez faire !! »)

Le bonheur dans la servitude

C’est un fait entendu, si on laisse les hommes faire ce qu’ils veulent, ils utiliseront cette liberté pour faire du tort non seulement aux autres mais aussi à eux-mêmes. L’homme, c’est sa nature, est un être mauvais et irresponsable ; un loup pour ses semblables et un danger pour lui-même. C’est pour cette raison qu’il faut le contraindre par des lois qui l’empêchent de faire ce que son cœur lui dicte et l’obligent à faire ce qu’il n’aurait pas fait s’il n’y était pas contraint. Et c’est pour faire respecter ces lois qu’il faut faire usage de la coercition, de la force si nécessaire ; c'est-à-dire qu’il faut un Etat [1]. Bien sûr, ce principe général ne peut s’appliquer ni à toi-même, cher lecteur, ni aux politiciens que tu désires voir diriger l’Etat.

Il ne peut s’appliquer à toi-même puisqu’en appelant l’intervention de la puissance publique de tes vœux, tu démontres ta sagesse et le souci que tu as de ton prochain. C’est là toute la différence : ce que désire le cœur du commun des mortels est nuisible aux intérêts du plus grand nombre mais ce que désire ton cœur va dans le sens de l’intérêt général. Si tu étais un homme ordinaire, ton opinion serait entachée de mensonge, d’égoïsme et d’irresponsabilité. Si les autres membres de la société n’étaient pas mauvais et inconséquents, il serait inutile de les contraindre par la loi et par l’Etat.

Ce principe ne peut pas non plus s’appliquer à ceux et celles à qui tu accordes ton vote. Un simple reductio ad absurdum suffit à le démontrer : si ton candidat favori était un homme comme les autres, lui confier l’usage du monopole légal de la violence reviendrait à donner tout pouvoirs à un être égoïste, menteur et irresponsable. Ce serait élever un des loups au dessus des autres, introduire un renard tout puissant dans un poulailler transformé en prison. C’est bien entendu impossible ; ne serait-ce que parce que, comme nous l’avons établi plus haut, tu es sage et qu’en tant que tel, jamais tu ne cautionnerais une telle absurdité.

La liberté est donc une mauvaise chose. Elle ne peut aboutir qu’au chaos, à l’anarchie où les forts dominent les faibles et où les membres de la société, livrés à eux-mêmes, prendront des décisions impropres à les rendre heureux. Seuls les hommes d’Etat choisis par toi-même et ceux qui partagent ton opinion sont à même de gouverner la société. Parce qu’ils sont sages, ils sont capables d’organiser notre vie en commun de la meilleure manière qui soit. Parce que leurs aspirations sont élevées, ils savent, mieux que leurs sujets eux-mêmes ce qui est bon pour eux et n'abuseront pas des pouvoirs qui sont les leurs.

Il s’en suit naturellement que la démocratie est un mal vicieux : en effet, puisque l’égoïsme, le mensonge, la tricherie et l’irresponsabilité dominent le cœur des hommes, ils risquent de faire un mauvais usage de cette liberté qui leur est donnée. Comment un homme qui est incapable de se gouverner lui-même pourrait-il prétendre participer au gouvernement de la cité ? Je sais – nous l’avons dit – que ton cœur est grand et que tu répugnes à imposer tes idées par la force mais tu sais bien que c’est inévitable. Comment parvenir à une société égalitaire sans avoir recours à la force et à la confiscation des biens des plus riches pour les distribuer aux plus nécessiteux ? Comment obtenir des égoïstes qu’ils travaillent et produisent sans que l’appât du gain ne les motive ? Comment obtenir des fainéants qu’ils travaillent et produisent si cela n’a plus d’incidence sur leur bien être matériel ? Tu vois bien que c’est la nature des hommes qui rend la démocratie impossible.

C’est pour leur bien que l’Etat règlemente jusqu’aux moindres aspects de la vie de ses sujets ; avec qui ils se marient, ce qu’ils mangent, boivent et mettent dans leurs corps, ce qu’ils peuvent dire et entendre, ce qu’ils peuvent lire et écrire, l’équipement de leurs maisons et de leurs voitures, la manière dont ils prennent soin de leur santé et de leur retraite, le travail qui occupe leurs journées et le salaire qu’ils touchent en retour et même la manière dont ils éduquent leurs enfants.

C’est pour mieux éduquer les hommes qu’il faut confier l’éducation des enfants à l’Etat ; c’est ainsi, comme au temps de l’agôgè spartiate, que nous pouvons espérer construire une société d’individus à ton image, sages, vertueux, prêts au sacrifice pour la nation, débarrassés de leurs vices, de leurs envies, de leurs particularités, de leurs idées propres, de leur créativité et de leurs rêves.

Car tu sais, toi qui es si sage, qu’il est dans la nature des choses que l’individu mauvais, tricheur, menteur et irresponsable s’efface devant la nation, la collectivité, le groupe. Tu sais que l’homme ne vit pas pour être sa propre fin mais pour servir une cause plus élevée. Tu sais que le bien du groupe et de la cause qu’il sert justifie le sacrifice de quelques individus car l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers et puisque la fin justifie les moyens. Tu sais, enfin et au regard de tout ce que nous avons dit, que le bonheur véritable et la véritable élévation spirituelle ne se conçoivent que dans la servitude et le sacrifice. C’est à ce prix que nous viendrons enfin à bout de l’homme, cet être mauvais, menteur, tricheur et irresponsable.

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[1] Que nous écrivons avec une majuscule. Note la puissance des symboles : en 1789, on écrivait « l’Etat » et les « Membres de la Société », aujourd’hui « l’Etat » a gardé sa majesté mais, sans même y penser, tu écris les « membres de la société ».

Nouvelle lettre à Ménécée

Par Pierre Lison [1], trouvée sur Nicomaque et relayée par XP.

« Cher Ménécée,

J’ai lu avec grand plaisir la lettre que tu m’as envoyée. Ainsi tu désires t’engager dans la chose publique ! C’est une bonne chose. La Cité a grand besoin de citoyens comme toi. Travailler pour notre Cité est une activité digne d’un homme libre. Je connais ta valeur, et je ne crois rien exagérer en affirmant que tu représentes un grand espoir pour rétablir la concorde et la justice pour nos concitoyens.

Néanmoins, je dois impérativement te mettre en garde. La place publique est pleine de dangers, auxquels n’est pas préparé l’honnête homme. Ces dangers ont un nom : ce sont les idées fausses. Tout ce qui arrive dans la société où nous vivons est le résultat des idées. Le bon et le mauvais. Ce qu’il faut, ce qu’il te faut pour servir la Cité, c’est combattre les idées fausses.

Par le biais de cette lettre, je veux t’entretenir des dangers qui t’attendent, et des moyens de les combattre. Pour triompher, tu devras apprendre à reconnaitre les pièges tendus par le vulgaire pour t’écarter de la voie de la sagesse. Il te faudra aussi apprendre comment substituer des idées meilleures aux idées fausses. Car s’écarter des mauvais sentiers ne suffit pas, il est également nécessaire de trouver le chemin de la vérité. Tel est le devoir du philosophe, tel est ton devoir.

Le point de départ de ta réflexion doit commencer sur la nature de l’homme, et de sa relation avec la société. Car toute philosophie politique se base sur une certaine conception de la personne humaine. À partir de cette conception, comment dériver les principes qui doivent régir une société juste ? Telles sont les questions que tu dois te poser, Ménécée.

Je tiens pour évidente l’idée que l’homme est une fin en soi. Cette proposition est un acte de foi, elle est une conviction intime. Elle ne peut être démontrée par un raisonnement logique. Mais cherche dans les profondeurs de ton âme, et tu en seras également convaincu. Tout homme possède une personnalité unique, irremplaçable, et c’est au travers de cette identité qu’il cherche à se réaliser.

L’individu est la seule réalité. Plus nous nous en écartons, plus nous lui substituons des idées abstraites sur la nature humaine, plus nous risquons de nous tromper. Le sens de la vie, la façon de se représenter le bonheur, tout ceci est propre à l’individu. L’homme se réalise dans sa capacité à créer, or toute création est un acte fondamentalement intérieur et solitaire.

Deviens l’homme que tu es. Fais ce que toi seul peut faire. Deviens sans cesse celui que tu es, sois le maître et le sculpteur de toi-même. Telle est la maxime du sage.

Contrairement à l’homme pris dans son individualité, la société n’est pas une fin en soi, elle est un moyen. L’homme ne saurait pas plus exister sans la société qu’il ne saurait exister sans air ou sans eau.

Au même titre que ces derniers facteurs, la société constitue une des conditions de son existence les plus nécessaires. Mais il serait ridicule de prétendre que l’homme vit pour respirer l’air, et de même il serait ridicule de prétendre qu’il existe pour la société. La société est simplement un concept qui exprime la symbiose que constitue un groupe humain. Or un concept n’est pas un porteur de vie. Le porteur de vie unique et naturel est l’individu et il en est ainsi dans toute la nature.

Comprends bien mon propos, il ne s’agit pas là de dénigrer les vertus de la vie en société, mais bien de replacer l’homme au centre de celle-ci. Ce sont les hommes qui font la société, et non l’inverse.

À partir de cette perspective, une éthique authentiquement humaine peut se développer, comme cette noble doctrine, basée sur l’Amour du prochain, qui appelle au salut, non de la masse anonyme, mais bien de chaque homme, en particulier.

Mais, te demandes-tu peut-être, comment, en pratique, permettre à l’individu de se réaliser ? Cherche en toi-même, tu trouveras la réponse. Celle-ci est simple et limpide comme l’eau de la source : il faut lui offrir la liberté. Sans liberté, il n’existe pas d’homme, il n’existe que des masses grégaires incapables de penser. L’homme est né pour vivre libre.

Fais attention à bien comprendre la signification de la liberté ; celle-ci n’est pas permissivité ou déchaînement d’instincts barbares. La liberté ne peut se vivre que si elle s’accompagne de son double : la responsabilité. Ce couple liberté-responsabilité est indissociable, il est le fondement de toute société civilisée. La liberté de l’un s’arrête ou commence celle de l’autre.

Comment mettre en pratique ce principe de liberté ? Pour cela nous avons inventé le concept de Droit. Le Droit exige le respect, par chacun, des libertés de chacun. Voilà donc trouvée la mission essentielle des institutions publiques, regroupées sous le nom d’État : protéger le Droit.

Sans doute entendras-tu, dans l’enceinte du Forum ou ailleurs, des citoyens expliquer que pour eux, l’État a pour but de transformer la société, de rendre les hommes plus moraux ou plus généreux. Ceci est un mensonge. Cette transformation qu’ils appellent de leur voeux ne peut se réaliser que par la suppression des libertés. Or nous avons vu qu’une philosophie basée sur l’homme (nous l’appelerons philosophie humaniste) se caractérise par la primauté accordée à la liberté par rapport à tout autre objectif politique.

Tu entendras peut-être certains orateurs appelés « socialistes » demander une redistribution massive et forcée des richesses à grande échelle, par le biais de l’État. Or cette redistribution ne peut s’effectuer que par l’usage de la force, de la violence. Leur appel à plus de générosité est sans doute louable, mais la vraie générosité consiste en un don gratuit, volontaire. Retirer par la violence le fruit du travail d’un homme ne s’appelle pas de la générosité, mais du vol. D’autant plus que cette distribution est inefficace, et profite souvent davantage aux détenteurs du pouvoir qu’aux nécessiteux.

De même, tu entendras d’autres orateurs, appelés « nationalistes » ou « conservateurs » appeler les hommes à devenir plus moraux, à servir leur pays ou à suivre d’autres préceptes. L’intention est ici aussi louable, mais les moyens qu’ils exigent ne le sont pas. Car il n’existe pas de moralité sans liberté.

Protection et sécurité n’ont de valeur que pour autant que de leur côté elles n’oppressent pas la vie outre mesure. La société a besoin d’une autorité chargée de faire respecter certaines normes permettant de vivre ensemble. Mais cette autorité a pour but de protéger, pas d’opprimer. Reste donc à trouver un équilibre entre l’absence d’autorité et l’abus d’autorité. La vie, toujours, est un voyage entre Charybde et Scylla.

Tu comprends à présent ce qui sépare notre philosophie (la philosophie de la liberté) des philosophies basées sur la force. Ceux qui croient en la liberté affirment que chacun à le droit de vivre comme il l’entend. Ceux qui croient en la force veulent imposer leur conception du Bien à l’ensemble de la société. Mais, dis-moi Ménécée, pourquoi les socialistes ne pourraient-ils pas vivre leur socialisme entre eux, et laisser les autres vivre librement ?

Il y a donc deux visions de la société qui s’affrontent : la vision d’une société ouverte, où les relations sociales sont basées sur des relations pacifiques de coopération et d’échange, et la vision d’une société fermée, vestige d’un tribalisme violent, où les relations sociales sont structurées autour d’une autorité centrale dirigeant toutes les facettes de la société.

Peu importe finalement si cette autorité a le soutien ou non de la majorité de la population, rien ne permet de justifier la suppression des libertés individuelles. La démocratie est un moyen de limiter, séparer, soupeser le pouvoir, elle n’est pas une fin en soi. La fin de toute institution publique, c’est le respect du Droit.

J’espère que tu comprends également que notre philosophie est frontalement opposée à toute forme d’utilitarisme. Nous ne défendons pas la liberté parce qu’elle est « efficace », mais parce qu’elle est Juste. La fin ne justifie jamais les moyens. Dans ta gestion de la Cité, pose-toi toujours la question : mon action est-elle respectueuse des libertés ? Ou est-elle oppression, asservissement ?

J’espère que les principes que je viens de t’enseigner resteront gravés dans ton esprit. Ils sont la source de toute société humaine – de toute société créatrice. N’abuse jamais de ton pouvoir, mets-le au service de chaque citoyen. Là ou cesse l’État, c’est là que commence l’homme.

Telle est l’essence de mon enseignement.

Porte-toi bien,

Ton ami sincère.

PS : toi qui aimes la philosophie, tu remarqueras que cette lettre est émaillée de citations de grands sages. Je te laisse le soin de trouver leur provenance, c’est un agréable exercice à réaliser ! »

Brillantissime !

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[1] Pierre Lison, diplômé de l’Université catholique de Louvain, est ingénieur civil en informatique. Étudiant les interactions entre l’informatique, la linguistique et la science cognitive, il est aujourd’hui chercheur à l’université d’Oslo.

Tant qu’il y aura des rêveurs…

Dans son « Peter Thiel, un Ravachol ultralibéral », Jérôme Leroy évoque le projet un peu fou du patron de Paypal qui souhaite créer une petite société sans Etat sur une île artificielle au large de San Francisco et en profite pour nous parler de ce fameux mouvement « libertarien » américain. Quand Jérôme me lance une balle ; je la saisis au bond.

Un petit retour en arrière s’impose. Le libéralisme, le vrai, est une idée qui est née en Europe au siècle des Lumières. Il plongeait ses racines bien plus profondément dans l’histoire de la pensée – Aristote, Lao Tseu, les scolastiques de l’école de Salamanque… – mais c’est certainement au cours de ce XVIIIème siècle qu’il est devenu, comme en réaction contre l’absolutisme royal, un système de pensée cohérent et formalisé. Parmi nos pères : Turgot, Smith, Say, Locke, Hume, Condillac ou Montesquieu pour ne citer que quelques noms. Le libéralisme, le vrai, devient alors un ensemble philosophique qui fonde sa conception de la société des hommes sur une seule et même notion ; la liberté. Il n’y a pas, pour un libéral, de différence entre ce que nous appelons aujourd’hui « liberté politique », « liberté économique » ou « liberté sociale » ; il y a la liberté ou il n’y a pas de liberté. Entre les droits naturels de John Locke et la main invisible d’Adam Smith, il n’y a pas de frontière, pas de contradiction ; tout ceci forme la base, les fondations de ce que nous, libéraux, appelons le libéralisme.

Mais les idées libérales ne sont et n’ont jamais été monolithiques ; aux idées libérales dites « classiques » viennent s’ajouter la sensibilité personnelle des auteurs ; libéraux de gauche, libéraux conservateurs, minarchistes [1] ou anarcho-capitalistes forment autant de courants de cette grande famille libérale et, comme dans toutes les familles, ont une fâcheuse tendance à oublier tout ce qui les rassemblent pour se focaliser sur leurs quelques différences. « Trois communistes, quatre avis » ; c’est au moins aussi vrai pour les libéraux.

Ainsi, quand Jérôme décrit les idées « libertariennes » de Monsieur Thiel, il fait en réalité référence au courant anarcho-capitaliste – voir, entre autres, des auteurs comme Gustave de Molinari ou Murray Rothbard – c'est-à-dire à ceux d’entre nous qui se passeraient volontiers d’un Etat. « Libertarien » est un terme anglo-saxon et même américain qui n’existe pas dans la langue de Molière ; la meilleure traduction qui puisse se trouver est tout simplement « libéral ». Sa raison d’être est toute simple : aux Etats-Unis, « liberal » signifie – en gros – « social-démocrate de gauche » ; quand les libéraux américains, menés par Ron Paul, ont voulu marquer leurs distances avec les conservateurs républicains et les progressistes démocrates, ils n’ont eut d’autre choix que de fonder un « Libertarian Party ». De fait, les libertariens étasuniens regroupent les mêmes tendances que les libéraux français – du libéralisme classique à l’anarcho-capitalisme – ; la seule véritable différence, c’est qu’ils sont beaucoup plus nombreux.

Contrairement à ce que Jérôme fait semblant de croire [2], votre serviteur n’est pas anarcho-capitaliste. Si je pense que l’Etat est un mal, un appareil social fondé sur la violence et dont la seule raison d’être est de restreindre nos libertés, je pense néanmoins que c’est un mal nécessaire et même (malheureusement) indispensable. J’aimerais sincèrement être « anarcap », mais non, vraiment, je n’y crois pas [3]. C’est cette conviction que l’Etat, le gouvernement et les politiciens ont un rôle à jouer dans nos sociétés mais un rôle limité et sévèrement contrôlé qui fait de moi un libéral classique à la mode française dans la ligne des Turgot, Tocqueville et autres Bastiat. Jérôme a raison, l’anarcho-capitalisme a ceci de commun avec le communisme que les deux sont des utopies intellectuellement séduisantes qui n’ont jamais existé et n’existeront probablement jamais [4]. Mais, en ce qui concerne monsieur Thiel, il y a tout de même une différence : il n’oblige personne a venir vivre sur son île.

Ce qui est intéressant dans le projet de Monsieur Thiel c’est son existence même : voilà un libertarien américain qui, manifestement, considère que son pays pourtant réputé « ultralibéral » ne lui propose plus le genre de société dans laquelle il veut vivre. Voilà la vérité que je partage avec Monsieur Thiel et quelques autres : nous ne vivons pas dans une société socialiste mais nous ne vivons pas non plus – et depuis longtemps – dans une société libérale. Le monde des hommes n’est ni noir ni blanc, il est en nuances de gris. Je mesure bien que cette affirmation en choquera plus d’un mais pourtant, si vous acceptez d’y regarder de plus près, vous observerez quelques faits troublants. Par exemple, aucun – je dis bien aucun – homme politique français d’envergure nationale ne se réclame du libéralisme ; de Marine le Pen à Jean-Luc Mélenchon en passant par les barons de l’UMP et les caciques du PS, tous – à divers degrés – prônent une intervention accrue de l’Etat dans nos vies [5]. Considérez Ron Paul : avez-vous entendu parler de ses scores lors des primaires républicaines ? Eh bien les américains non plus : c’est le « black-out » total. Lisez la presse, faîtes un tour dans les librairies, écoutez la radio et vous constaterez comme moi que les seuls avis qui y sont relayés sont des profondément et explicitement antilibéraux ; tenez, au hasard : combien d’auteurs libéraux avez-vous vu intervenir sur Causeur [6] ? Et dites-moi sincèrement : à l’école de la République, que vous a-t-on appris ? Suis-je le seul lycéen à qui son professeur d’économie a conseillé de lire « Alternatives Economiques » ?

A ceux qui pourraient être tentés par l’aventure, je ne vais pas vous mentir : quand on est libéral en France aujourd’hui, on se sent un peu comme les assiégés de la citadelle du Gouffre de Helm. Ça a des avantages – nous sommes si peu nombreux qu’on finit par tous se connaître – mais surtout des inconvénients : notamment celui de s’entendre répéter à longueur de journée que Nicolas Sarkozy ou Dominique Strauss-Kahn sont des « ultralibéraux ». C’est proprement insupportable mais que voulez vous ? A vaincre sans péril, comme disait l’autre, on triomphe sans gloire. Aux autres, à celles et ceux qui tirent dans le sens du vent par conviction ou par simple confort intellectuel, j’ai juste envie de donner et un conseil – et c’est un vrai conseil de la part de quelqu’un qui, comme le dit si bien Jérôme, vous veut du bien : lisez. Ne serait-ce que par simple curiosité ou pour mieux me contredire, lisez et découvrez ce formidable héritage intellectuel [7] ; vous ne pouvez qu’en sortir grandis.

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[1] Libéraux qui prônent un Etat exclusivement recentré sur ses fonctions régaliennes : la justice, la police, l’armée et la diplomatie.
[2] Jérôme est communiste – certes – mais il est aussi taquin.
[3] Pardon les copains mais là je suis Mises.
[4] Cela dit, j’encourage vivement ceux d’entre nous qui ont un peu de curiosité à lire du Murray Rothbard (« l’Ethique de la Liberté » par exemple) ; vous serez surpris.
[5] De fait, il n’y a aujourd’hui en France qu’un seul parti ouvertement libéral – le Parti Libéral Démocrate (PLD).
[6] Un grand merci à la patronne !
[7] Je vous suggère le site de l’Institut Coppet qui s’est donné pour mission de faire revivre et de traduire ces textes.

Taxe sur les loyers abusifs

Benoist Apparu vient d’annoncer qu’une nouvelle « taxe sur les microsurfaces » devrait être débattue dans le cadre de la loi de finances 2012. Le gouvernement entend ainsi dissuader les propriétaires de petits logements – d’une dizaine de mètres carrés, c’est à dire des chambres de bonnes – de pratiquer des loyers jugés « abusifs » par le ministère de l’Ecologie [1]. Le principe, tel qu’il est présenté aujourd’hui, consiste à taxer les loyers au-delà d’un seuil fixé à 40 euros le mètre carré (hors charges) selon un barème progressif par paliers de 10% à 40%. Par exemple, selon le porte-parole du ministère, « une chambre de 10 mètres carrés, louée 800 euros, dépassera de deux fois le seuil et se verra appliquer un taux de 40%, soit 320 euros de taxe ».

Raisonnons un instant. Si, comme M. Apparu l’affirme, l’objectif du gouvernement est de faire baisser les loyers, il doit faire en sorte que les bailleurs aient matériellement intérêt à réduire les loyers qu’ils réclament à leurs locataires. Par exemple, pour que le bailleur d’une chambre de 10 m² ait intérêt à baisser un loyer de 444 euros, il faut le taxer à hauteur de 10% au minimum ; de cette manière, il ne gagne que 399,6 euros et a donc intérêt à baisser son loyer à 400 euros pour ne plus payer d’impôt. En revanche, taxer un loyer de 445 euros à 10% n’est pas suffisant puisque le bailleur gagne alors 400,5 euros et n’a donc pas intérêt à réclamer moins à son locataire ; il faut donc passer à la tranche supérieure.

En généralisant ce raisonnement, on peut établir le barème qui permet d’inciter les bailleurs à baisser les loyers supérieur à 40 euros/m² : les loyers compris entre 40 et 44,4 euros/m² doivent être taxés à 10% minimum ; de 44,5 à 49,9 euros/m², il faut taxer au moins à 20% ; de 50 à 57,1 euros/m² il faut appliquer un taux minimum de 30% et de 57,2 à 66,6 euros/m² le taux devrait être au moins égal à 40%. Seulement, si vous appliquez ce barème, vous vous apercevrez que la meilleure stratégie pour un bailleur consiste toujours à baisser son loyer à 40 euros par mètre carré. Vous pouvez le vérifier facilement en prenant n’importe quel loyer compris entre 40 et 66,6 euros et en lui appliquant le taux correspondant : dans tous les cas, vous obtenez une somme inférieure à 40 euros qui fait que le bailleur a intérêt à réduire son loyer jusqu’à ce qu’il ne paye plus d’impôt. En pratique, utiliser ce barème revient à plafonner les loyers actuellement compris entre 40 et 66,6 euros à 40 euros du mètre carré [2].

Le gouvernement peut bien entendu adopter un autre barème mais ce sera au prix d’effets de seuil pour le moins rocambolesques. Par exemple, imaginez que l’on taxe les loyers de 40 à 50 euros à hauteur de 10% : le résultat sera que les loyers compris entre 40 et 44,4 euros baisseront tous à 40 euros mais que ceux qui vont de 44,5 euros à 50 euros ne bougeront pas puisque taxés à 10%, ils restent plus intéressants pour le bailleur qu’un loyer de 40 euros. Par exemple, un loyer de 46 euros taxé à 10% rapportera 41,4 euros au bailleur ; pourquoi le baisserait-il à 40 euros si ce n’est par amitié pour son locataire ou par haine pour Bercy [3] ?

En revanche, l’exemple du porte-parole du ministère pose un problème puisqu’avec un taux maximum de 40%, ce mécanisme cesse de fonctionner pour les loyers de 66,7 euros et plus. Pour reprendre l’exemple gouvernemental, un loyer de 80 euros taxé à 40% laisse 48 euros dans la poche du bailleur ; et 48 euros, ça reste supérieur à 40 euros.

Résumons : si le gouvernement applique effectivement ce barème, il incite de-facto les bailleurs qui louent aujourd’hui entre 40 et 66,6 euros du m² à réduire les loyers à 40 euros ; ce qui revient à un plafonnement des loyers. En revanche, à partir de 66,6 euros/m², le taux maximum de 40% n’a plus effet incitatif et ces loyers n’ont aucune raison de varier d’un iota, au moins dans un premier temps.

Et maintenant un peu d’économie…

Si les prix des petits studios sont si élevés, notamment dans la capitale, c’est parce que l’offre y est très rare et que la demande solvable y est très élevée [4]. J’insiste sur cette notion de demande solvable : si les gens ne pouvaient matériellement pas payer de loyer à 60 euros le mètre carré, il n’y aurait pas de transaction à ce prix et donc pas de prix du tout. Or, quiconque a déjà voulu louer une chambre de bonne à Paris vous le confirmera : à ces prix stratosphériques, les locations partent comme des petits pains. Qu’on le veuille ou non ; les prix jugés « abusifs » par le ministère sont bel et bien un reflet fidèle de la réalité du marché. Et c’est cette réalité du marché que Monsieur Apparu entend mettre au pas. Eh bien voici mon pari :

Les baisses de loyer effectives ne concerneront qu’une infime minorité des petites surfaces visées par la loi ; un partie de celles qui sont louées entre 40 et 45 euros du mètre carré aujourd'hui baisseront à 40 euros. Nous allons voir le nombre de studettes et autres chambres de bonnes disponibles à la location se contracter significativement ; il n’y en avait pas assez ? Il y en aura encore moins. Nous allons constater une hausse significative des loyers des biens qui restent à la location, au-delà de la barre des 66,6 euros/m². Enfin, Monsieur Apparu – ou son successeur – proposera, dans cet ordre, (i) une loi de plafonnement effectif des loyers, (ii) une loi visant à taxer les propriétaires qui ne louent pas leurs biens et (iii) une loi de réquisition des logements non-habités en région parisienne.

D’autres idées ?

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[1] Le « ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement » etc…
[2] Monsieur Apparu jure que l’intention du gouvernement n’est pas de plafonner les loyers ; nous mettrons donc ça sur le compte de la maladresse.
[3] L’un comme l’autre sont tout à fait plausibles.
[4] Je laisse à chacun le soin de deviner pourquoi l’offre est si rare et pourquoi la demande solvable est si élevée.
[5] Auquel il faut déduire les frais de notaire, coûts d’entretient, le coût d’un éventuel crédit et – bien sûr – les impôts…

Le diable rouge

- Colbert : « Pour trouver de l’argent, il arrive un moment où tripoter ne suffit plus. J’aimerais que Monsieur le Surintendant m’explique comment on s’y prend pour dépenser encore quand on est déjà endetté jusqu’au cou… »

- Mazarin : « Quand on est un simple mortel, bien sûr, et qu’on est couvert de dettes, on va en prison mais l’État… L’État, lui, c’est différent. On ne peut pas jeter l’État en prison. Alors, il continue, il creuse la dette! Tous les États font cela. »

- Colbert : « Ah oui ? Vous croyez ? Cependant, il nous faut de l’argent et comment en trouver quand on a déjà créé tous les impôts imaginables ? »

- Mazarin : « On en crée d’autres. »

- Colbert : « Nous ne pouvons pas taxer les pauvres plus qu’ils ne le sont déjà. »

- Mazarin : « Oui, c’est impossible. »

- Colbert : «Alors, les riches ?»

- Mazarin : « Les riches, non plus. Ils ne dépenseraient plus. Un riche qui dépense fait vivre des centaines de pauvres. »

- Colbert : « Alors, comment fait-on ? »

- Mazarin : « Colbert, tu raisonnes comme un fromage ! Il y a quantité de gens qui sont entre les deux, ni pauvres, ni riches… Des Français qui travaillent, rêvant d’être riches et redoutant d’être pauvres ! C’est ceux-là que nous devons taxer, encore plus, toujours plus ! Ceux là ! Plus tu leur prends, plus ils travaillent pour compenser… C’est un réservoir inépuisable. »

Extrait du « Diable Rouge » ; le texte est d’Antoine Rault.

Le protectionnisme, c'est la guerre.

A l’heure j’écris ces lignes [1] Jean-Pierre Chevènement (MRC), Nicolas Dupont-Aignan (DLR), François Loos (UMP) et Arnaud Montebourg (PS) se réunissent à l’Assemblée Nationale pour un colloque intitulé « Protéger les intérêts économiques de la France : quelles propositions ? ». Etant donné l’identité des participants et le fait que cette rencontre ait été organisée par l’association « Pour un débat sur le libre-échange » [2], je n’ai que peu de doute sur la nature des propositions en question ; appelez ça « démondialisation » [3], « patriotisme économique » ou « protection des intérêts économiques de la France », ça reste du protectionnisme et puisque ces messieurs veulent en débattre, je suis volontaire.

Je ne porterais pas mon argument sur la nocivité économique des politiques protectionnistes. Cette idée est avancée par les partisans de politiques économiques dirigistes qui savent pertinemment que l’Etat n’a de pouvoir que sur le territoire national et que l’ouverture de nos frontières au reste du monde ne leur permettra pas de diriger l’économie selon leurs plans ; dans cette optique le protectionnisme est parfaitement cohérent. Le libre-échange est un mode d’organisation naturel pour une économie de marché mais pour une économie dirigée – et à plus forte raison pour une économie planifiée – c’est au contraire un inconvénient. Je porterais donc mon argument sur un tout autre plan, au-delà des considérations liées à l’évolution de nos niveaux de vie : le protectionnisme porte en lui le germe de l’impérialisme et de la guerre.

Si les politiques coloniales des puissances européennes visaient à assurer leurs approvisionnements et des débouchés pour leurs industries c’est précisément parce que de telles sources d’approvisionnement et de tels débouchés manquaient ; la raison qui a poussé ces pays à construire à grand frais des empires coloniaux tient au simple fait qu’ils pratiquaient le protectionnisme à outrance entre eux. C’est Colbert, le père du « colbertisme » [4], qui a présidé à la création du premier espace colonial du royaume. C’est sous Napoléon III, dans une Europe où seul le Royaume-Uni maintient une politique libre-échangiste, que va se constituer l’essentiel de l’Empire colonial français. Un des arguments de ceux qui cherchent à nier le rôle moteur du protectionnisme dans la colonisation et les guerres coloniales consiste à présenter les guerres de l’opium, et notamment la seconde (1856-1860), comme une guerre menée au nom du libre-échange ; pour mémoire, cette intervention militaire franco-anglaise avait précisément pour but – ironiquement – de forcer l’Empire du milieu à ouvrir son marché intérieur aux exportations européennes ; c’est-à-dire que cette guerre fût motivée non seulement par le protectionnisme qui prévalait entre nations européennes mais aussi celui de Pékin. Il faudra attendre les années 1860 pour que la multiplication des accords bilatéraux de libre-échange entre puissances européennes – à commencer par la France et le Royaume-Uni – mette un terme, très provisoirement, aux ambitions impérialistes des grands empires et aux guerres qu’elles provoquaient.

Mais la trêve fût de courte durée. En 1879, le chancelier Bismarck instaure le tarif qui portera son nom sous la pression des junkers [5] qui souhaitent se protéger de la concurrence naissante de l’agriculture américaine. Il inaugure ainsi une nouvelle période de protectionnisme mondial qui va entrainer toutes les grandes puissances à réinstaurer des barrières douanières (à l’exception du Royaume-Uni encore une fois). En France, des mesures protectionnistes entrent en vigueur dès 1880 mais surtout en 1892 avec le tarif Méline. Non seulement il est très probable que cette résurgence des barrières douanière porte une responsabilité importante dans la durée de la « longue dépression » (1873-1896) mais ce retour du nationalisme économique va également provoquer une multiplication des guerres et représailles commerciales. Malgré la conférence de Berlin (1885), les empires coloniaux vont systématiquement rentrer en conflit les uns avec les autres ; c’est, par exemple, la Weltpolitik (politique mondiale) allemande, l’expansion coloniale des Etats-Unis qui vont chercher à aménager leur propre zone d’influence pour contrer l’influence des puissances européennes (guerre hispano-américaine de 1898) ou la première guerre sino-japonaise (1894-1895) où le Japon cherche à étendre sa domination sur la Corée.

Ce n’est pas un hasard si cette période de 1879 à 1913 est aussi celle de la montée des nationalismes et de la diffusion des pseudo-justifications qui serviront à préparer les peuples à la guerre. C’est au cours de ces années que va naître est se développer l'irrédentisme en Italie, que Friedrich Ratzel va formuler le concept du Lebensraum (espace vital) allemand et que le Japon de l’ère Meiji va fourbir ses visées expansionnistes sur le reste de l’Asie. C’est durant cette période que le nationalisme économique va remplacer les échanges commerciaux pacifiques des peuples par les ambitions expansionnistes de leurs dirigeants ; l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand ne sera que le prétexte que tous attendaient. Et ce fût la première guerre mondiale.

C’est la crise de 1929 qui va ressusciter le vieux démon protectionniste aux Etats-Unis ; dès l’année suivante, le sénateur Reed Smoot et le représentant Willis C. Hawley [6] présentent le texte de ce qui deviendra le tarif Smoot–Hawley, le régime de barrières douanières le plus dur que les Etats-Unis aient jamais connu. A l’origine prévu pour protéger l’agriculture américaine, le tarif Smoot–Hawley va rencontrer un immense succès auprès des industriels américains qui obtiendront facilement des protections similaires pour leurs entreprises respectives [7]. Les quelques 1 028 économistes qui signeront une pétition pour demander au président Hoover d’exercer son droit de véto n’y changeront rien. Dès son application, Smoot-Hawley va déclencher une série de contremesure dans le monde entier ; en quelques années, les barrières douanières sont de retour et le commerce mondial va littéralement s’effondrer dans les quatre années qui suivent l’entrée en vigueur du texte américain.

Le même schéma se répète : les difficultés d’approvisionnement et la nécessité de trouver des débouchés commerciaux accroissent les tensions péniblement contenues par la toute jeune Société Des Nations. Alors que les pays démocratiques se livrent une guerre économique sans merci à coup de dévaluations compétitives, certains pays s’orientent vers l’autarcie et l’expansion militaire : le régime fasciste italien cherche à se constituer un empire colonial en Éthiopie et en Europe du Sud, le Japon envahit la Mandchourie dès 1931 puis le reste de la Chine en 1937 et l’Allemagne s’empare de l’Autriche, de la Bohême et de la Moravie avant d’attaquer la Pologne en 1939. La deuxième guerre mondiale éclate.

Le libre-échange est et a toujours été une garantie de paix ; lorsque les intérêts des habitants de deux pays sont profondément liés par des relations commerciales, aucun des deux gouvernements n’a matériellement intérêt à rentrer en guerre avec l’autre. Historiquement, les exemples d’utilisation du libre-échange comme moyen de garantir la paix abondent ; c’est typiquement ce que fît Bismarck en 1862 quand il voulu s’assurer de la neutralité de Napoléon III alors qu’il combattait l’influence des Habsbourg-Lorraine au sein de la confédération allemande [8].

La signature des accords de Bretton Woods (1944) et du General Agreement on Tariffs and Trade (à partir de 1947) visaient explicitement à prévenir un retour aux politiques protectionnistes (barrières douanières et dévaluations compétitives) qui avaient prévalu durant l’entre-deux-guerres. Pour ceux et celles qui ont vécu cette période, les origines de la guerre et de l’inefficacité de la Société des Nations ne faisaient aucun doute : c’était le nationalisme économique qu’il fallait combattre [9]. De fait, la période qui a suivi est la plus longue séquence de paix entre grandes puissances que nous ayons connu depuis la chute de l’Empire Romain. L’idée selon laquelle « si les marchandises ne traversent pas les frontières, les soldats le feront » [10] ne relève ni de la divination, ni de la théorie ; c’est une leçon de l’histoire.

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[1] Dans la matinée du 14 septembre 2011.
[2] Association qui regroupe une vingtaine de protectionnistes tels que Jacques Sapir, Emmanuel Todd ou Jean-Luc Gréau.
[3] le « mot-obus » de Montebourg…
[4] Le nom habituellement utilisé pour désigner la version française du mercantilisme.
[5] Aristocrates et grands propriétaires terriens prussiens.
[6] L’un et l’autre républicains comme Herbert Hoover qui signa le décret d’application de la loi.
[7] Pour les même raisons que les junkers ; la concurrence étrangère, plus efficace, les obligeait à baisser leurs marges mais il était plus politiquement correct d’affirmer vouloir « sauver les emplois américains ».
[8] Confédération qui était, justement, unifiée par une union douanière ; le Deutscher Zollverein.
[9] Même des penseurs si différents que Keynes et Hayek se retrouvaient sur ce point.
[10] Attribuée à Frédéric Bastiat.

Mes 1''40 de célébrité

Que mon petit papier sur l'expérience d'anarchie routière lausannoise ait été publié sur Causeur.fr ne vous surprendra pas mais qu'Europe 1 en parle... c'est déjà plus nouveau !


Le coup de la panne par Europe1fr

Mes 1''40 de célébrité :)

Fiat monnaie, et monnaie fuit...

Voici le principe du mécanisme de création monétaire tel qu’il existe aujourd’hui : la banque centrale détient la « planche à billet » et donc le monopole de l’émission de billets de banque [1] ; si cette proposition vous semble inexacte, je vous invite à essayer d’imprimer des euros ou tout autre signe monétaire destiné à remplacer les euros [2]. Lorsque la banque centrale décide de faire baisser les taux d’intérêts – peu importe le motif pour l’instant – elle procède en général de la manière suivante : elle « imprime » des euros et les utilise pour racheter des actifs (principalement des obligations d’Etat) ; ce faisant, elle verse donc les nouveaux euros créés sur les comptes bancaires de ceux qui lui ont vendu les actifs en question ; c’est ce qu’on appelle une opération d’« open market » [3].

Une banque, c’est une entreprise qui vous emprunte votre argent à très court terme (c'est-à-dire que vous pouvez le récupérer quand vous le souhaitez) pour le prêter à long terme (pour un crédit immobilier par exemple). C’est la définition même du métier de banque. Lorsque vous versez de l’argent sur votre compte, vous le prêtez à la banque qui vous verse en contrepartie une rémunération [4] et va, à son tour, utiliser cet argent pour accorder des crédits à ceux de ses clients qui le souhaitent. Bien sûr, cette opération comporte des risques : le risque de crédit (si le débiteur de la banque ne rembourse pas son crédit, elle est quand même tenue de vous rendre votre argent), le risque de liquidité (la banque doit toujours être capable de vous rendre votre argent ; c'est-à-dire qu’elle doit disposer de réserves liquides pour faire face aux demandes de retraits de ses déposants) et le risque de duration (qui se matérialise quand les conditions de marché font que l’écart entre le taux préteur et le taux emprunteur de la banque – c'est-à-dire son « coussin de sécurité » – se réduit). L’écart de taux – la différence entre le taux auquel la banque prête et le taux auquel elle rémunère vos dépôts – constitue la rémunération de ces risques et, si tout se passe bien, la source des profits de la banque [5].

Ainsi donc, quand la banque centrale injecte de nouveaux euros dans le système bancaire, les banques vont utiliser cet argent pour accorder des crédits. C’est ici que démarre un processus connu sous le nom de « multiplicateur monétaire » qui fait dire à beaucoup de gens que la création monétaire a été privatisée. Prenons un exemple : si la banque centrale créé 100 euros ex-nihilo, le système bancaire va recevoir ces 100 euros sur les comptes de ses clients et va en prêter une partie – mettons 90 euros, soit 90% de l’injection initiale de la banque centrale [6] – à d’autres clients à la recherche de crédits ; lorsque ces crédits sont accordés, les emprunteurs vont à leur tour verser ces 90 euros sur leurs comptes bancaires mais comme les 100 euros d’origine existent toujours, nous avons maintenant 190 euros qui circulent dans l’économie. Mais ces 90 euros de prêts constituent à leur tour de nouveaux dépôts qui sont susceptibles d’être prêtés à leur tour à hauteur de 90% (soit 81 euros) portant ainsi la quantité totale de monnaie créée à 271 euros. Et ainsi de suite ; au total, si toutes les banques appliquent un ratio de réserve de 10% (c'est-à-dire qu’elles prêtent au maximum 90% des dépôts qu’elles reçoivent) ce mécanisme multiplicateur peut transformer l’injection initiale de la banque centrale de 100 euros en 1 000 euros.

Bien sûr les banques centrales ont parfaitement connaissance de ce multiplicateur et l’ont depuis longtemps encadré légalement de manière à mieux le contrôler. Typiquement, le ratio de réserve – qui fixe la maximale proportion de dépôts que les banques ont le droit de prêter – est fixé par la banque centrale. Par ailleurs, le législateur a également élaboré des ratios dits « prudentiels » qui limitent la quantité de crédit qu’une banque peut accorder en fonction des risques que présentent ces crédits [7] et du capital de la banque (c'est-à-dire l’argent des actionnaires qui sert de garantie aux déposants). En procédant par analogie, on peut se représenter la masse monétaire [8] comme un verre de pastis : le pastis pur c’est la monnaie centrale et l’eau c’est la monnaie créée par le multiplicateur. La banque centrale contrôle la quantité de pastis pur qu’elle verse dans le verre et, au travers des règlementations évoquées plus haut, contrôle la quantité maximale d’eau que peuvent y rajouter les banques commerciales. C’est donc toujours la banque centrale qui décide de la quantité maximale de pastis que peut contenir le verre [9].

A ce stade il est intéressant de se poser une question toute simple : pourquoi le législateur a-t’il jugé utile de limiter la capacité de création de crédit des banques alors ces dernières n’ont matériellement aucun intérêt à faire faillite ? En effet, si une banque émet trop de crédits, elle prend le risque de ne plus être capable d’honorer les demandes de retraits de ses déposants ce qui se traduira immanquablement par une panique des déposants, des demandes de retraits en masse, la faillite de la banque et donc la ruine de ses actionnaires. Et pourtant, des esprits apriori compétents et bien intentionnés ont jugé utile de forcer les banques à éviter de se mettre en situation de faillite potentielle. Il y a deux réponses possibles à cette question. La première consiste à dire que les banquiers sont des imbéciles incompétents et donc, qu’il est indispensable de les obliger à bien faire leur métier. C’est la thèse habituellement développée par la presse, nos responsables politiques et un bon nombre de nos contemporains pour expliquer cette fameuse crise des « subprimes ». Elle a le mérite d’être simple mais n’explique pas pourquoi autant de banques ont fait faillite en même temps après plusieurs années sans le moindre problème. La deuxième réponse est un peu plus complexe…

En contrepartie de leur monopole, les banques centrales sont tenues d’assurer un rôle de « prêteur en dernier ressort » ; c'est-à-dire que si les autres banques – les banques commerciales ou « banques de second rang » – se trouvent en difficulté, la banque centrale a le devoir de leur prêter de la monnaie centrale pour éviter une panique bancaire [10]. Or, depuis l’abandon de l’étalon-or, les banques centrales peuvent créer ex-nihilo autant de billets de banque qu’elles le souhaitent. L’un dans l’autre, ça signifie que tout le monde sait que – par construction – si les banques commerciales se trouvent en difficulté, la banque centrale doit et peut toujours inonder le système bancaire de monnaie centrale et leur venir ainsi en secours. Ça s’appelle un aléa moral : les banques prennent des risques considérables pour gagner plus d’argent parce qu’elles ne craignent plus la faillite. Peu de gens savent à quel point la décision des Etats-Unis de se doter d’une banque centrale de type européen a été soutenue par les grands banquiers de Wall Street [11] et, bien sûr, l’abandon de l’étalon-or lors de l’effondrement du système de Bretton Woods n’a fait que renforcer cet aléa moral. Très clairement, sauver les banques à coup de création monétaire ex-nihilo (c'est-à-dire à coup d’inflation) revient purement et simplement à leur permettre de gagner beaucoup d’argent à nos dépens : c’est un ticket de loterie gratuit. Le seul moyen d’empêcher les banques de trop profiter du système à leur avantage, pensait-on, était de limiter règlementairement leur capacité à créer du crédit.

Mais ça n’a pas marché. L’imagination des banquiers dépassant – et de loin – celle du législateur, ils ont su s’adapter pour tirer parti de la protection gratuite (pour eux, pas pour vous) que leur offraient les banques centrales. Par exemple, les banques ont massivement revendu leurs portefeuilles de crédits sur les marchés financiers ; c’est ce qu’on appelle de la titrisation. Par ailleurs, les différentes règlementations bancaires ont eut pour trait commun de générer toute une foultitude d’effets pervers inattendus comme de pousser les banques à réduire leurs financements à destination des entreprises au profit des crédits immobiliers ou de donner un pouvoir totalement démesuré aux agences de notation. Et comme d’habitude face à un échec de la régulation, on en conclue qu’il faut réguler encore plus : la règlementation bancaire provoque des crises ? On créé un système de banque centrale. Le système de banque centrale créé des crises ? On créé de la règlementation bancaire. Et ainsi de suite…

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[1] Je simplifie volontairement dans un but purement pédagogique ; en réalité, la base monétaire (M0) est composée non seulement des billets en circulation mais aussi des comptes créditeurs des banques commerciales auprès de la banque centrale.
[2] Je m’engage à vous apporter des oranges.
[3] Pour réduire la base monétaire ou faire monter les taux, il suffit de procéder à l’opération inverse en revendant les obligations d’Etat.
[4] Depuis que la rémunération des dépôts à vue est autorisée en France (16 mars 2005).
[5] Et si ça se passe mal, la banque vous rembourse avec son propre argent ; c'est-à-dire celui des actionnaires.
[6] Les 10% restant ne sont pas prêtés et serviront aux banques à honorer les demandes de retrait de leurs déposants. Ce sont des réserves.
[7] C’est à ce niveau qu’interviennent les fameuses agences de notation puisque, depuis les années 1970, leurs notes sont devenues des critères légaux d’évaluation des risques ; c’est depuis cette époque que les agences peuvent se permettre de faire payer le processus de notation aux emprunteurs.
[8] C'est-à-dire, pour faire simple, la monnaie centrale (les billets) plus la monnaie créée par les banques.
[9] Sauf si les banques se débrouillent pour se débarrasser d’une partie de leurs crédits sur les marchés financiers ; voir plus loin.
[10] Ce rôle est consubstantiel à la mission d’une banque centrale ; c’est certainement ce qui a poussé les banquiers de Wall Street à
[11] Comme lors de cette fameuse réunion sur Jekyll Island en novembre 1910 où le sénateur Nelson W. Aldrich, principal défenseur de la mise en œuvre d’une banque centrale aux Etats-Unis, retrouva le gratin de Wall Street pour chasser le canard…

L’anarchie routière

De mémoire de lausannois, on avait jamais vu ça. Ce mercredi 7 septembre entre 7h45 et 8h50 du matin, une quinzaine de jours après la rentrée des classes, en pleine semaine et à l’heure de pointe il n’y avait pratiquement aucun bouchon dans la capitale vaudoise. Selon Georges-Marie Bécherraz, qui rapporte l’évènement pour 24heures.ch, « le trafic s’est écoulé avec une fluidité comme on n’en voit que le dimanche à une heure pareille de la journée ». L’origine de ce petit miracle ? Eh bien tout simplement une panne d’électricité qui a rendu les feux de circulation inopérants dans une bonne partie du centre-ville. Pendant un peu plus d’une heure, la circulation de Lausanne n’était plus régulée ; c’était, à proprement parler, l’anarchie.

On se serait attendu à une circulation totalement bloquée, à de la taule froissée et à quelques solides empoignades entre helvètes exaspérés mais il n’en fût rien : la circulation a rarement été aussi fluide, il n’y a eut aucun accrochage à déplorer et tout ceci s’est passé dans la bonne humeur. Ce que nos voisins vaudois ont vécu c’est une expérience de coopération sociale spontanée et ce qui fait toute la valeur de cette expérience c’est qu’elle a eut lieu dans une ville de taille tout à fait respectable sans être le moins du monde prévue par qui que ce soit. Et ça a marché : le visage de l’anarchie routière a été, pendant une grosse heure, celui d’une circulation fluide, sûre et fondée sur la seule bonne volonté des automobilistes.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’idée selon laquelle une absence quasi-totale de règlementation routière serait supérieure à tout point de vue à notre arsenal législatif actuel n’est pas vraiment nouvelle. Depuis des années déjà, des gens tout à fait sérieux défendent cette idée comme Hans Monderman, un ingénieur de la circulation hollandais qui a même eut l’occasion de la tester en grandeur nature dans la petite ville de Drachten aux Pays-Bas. Bilan des courses : non seulement la circulation est parfaitement fluide mais le nombre d’accidents constatés dans les rues de Drachten a été divisé par quatre depuis que l’anarchie [1] y règne ; piétons, cyclistes et automobilistes y vivent en harmonie, sans signalisation ni voies réservées. Depuis, plusieurs villes du nord de l’Europe s’y sont mises à leur tour : en Allemagne, au Danemark et en Angleterre, ont éteint les feux de circulation et on ne les rallume plus ; même le maire de Londres semble acquis à cette idée depuis quelques temps.

Le fait est que, partout où l’expérience a été tentée, la coopération sociale spontanée se révèle systématiquement plus efficiente et plus sûre que les systèmes codifiés et coercitifs qui dominent aujourd’hui. Sachant qu’ils ne sont plus protégés par la signalisation, les gens roulent plus prudemment, restent attentifs à leur environnement, se montrent volontiers plus courtois et abandonnent les comportements dangereux induits par la signalisation elle-même [2]. L’absence de passages piétons et de pistes cyclables laisse émerger une nouvelle hiérarchie où les usagers les plus fragiles deviennent prioritaires sans pour autant abuser de cette position. D’un système fondé sur une régulation arbitraire du trafic, on passe ainsi à une autogestion infiniment plus souple, qui s’adapte d’elle-même au cas par cas et ne repose plus sur la contrainte mais l’intérêt bien compris de tous.

C’est en tout cas ce que semble en avoir retenu M. Matthey, le chef du Service lausannois des routes et de la mobilité, qui envisage la possibilité de reconduire l’expérience en le faisant exprès cette fois-ci. Ce qui est amusant [3] quand on y repense, c’est d’imaginer la réaction d’un élu local si quelqu’un avait eut l’idée saugrenue de lui proposer de laisser ses administrés s'administrer eux-mêmes : « Laisser les gens faire ? Mais vous n’y songez pas malheureux ! Ce serait l’anarchie ! »

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[1] J’exagère un peu ; il reste tout de même un code de la route qui se limite à « priorité à droite » et « ne pas couper la route d’un autre ».
[2] Qui n’a jamais accéléré pour éviter un feu rouge ?
[3] Quoique, pas vraiment…

Cette fameuse loi de 1973

Un des grands chevaux de bataille des « souverainistes monétaires », c'est-à-dire de ceux qui plaident pour un retour au franc dans le but explicite de le dévaluer dans la foulée, c’est l’abrogation de cette fameuse loi n°73-7 du 3 janvier 1973 sur la Banque de France et particulièrement de son 25ème article qui stipule que «le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l'escompte de la Banque de France.» Traduction : l’Etat n’a pas le droit de financer directement la dépense publique en faisant tourner la planche à billet. Contrairement à ce qu’affirment les complotistes d’extrême droite et leurs alliés objectifs d’extrême gauche, l’objet de cette loi n’est pas de «livrer la France [1] pieds et poings liés au pouvoir financier» mais bel et bien d’empêcher ceux qui nous gouvernent de lever un impôt arbitraire, sans aucun contrôle parlementaire, sur l’ensemble des citoyens. Accroître la masse monétaire provoque de l’inflation et l’inflation, c’est un impôt [2].

Le contre-argument habituel du « souverainiste monétaire » consiste à rappeler qu’avant que cette loi ne soit promulguée, le gouvernement disposait de cette possibilité et n’en avait usé que de manière parcimonieuse ; c'est-à-dire que le gouvernement n’avait à l’époque usé de la planche à billet que de manière très modérée. Preuve en est qu’à partir des années 1950, l’inflation tournera généralement aux alentours de 4% [3]. C’est juste à deux petits détails près. Primo, à cette époque, l’endettement de l’Etat français n’était en aucune manière comparable avec celui auquel nous devons faire face aujourd’hui ; en d’autres termes, l’incitation qu’avaient nos gouvernants à laisser filer l’inflation était beaucoup moins forte d’autant plus que les français avaient encore en mémoire les épisodes inflationnistes de l’immédiat après-guerre. Mais surtout, et c’est là que je veux en venir, ce que les souverainistes oublient c’est qu’avant 1973 la capacité de l’Etat à utiliser sa planche à billet était sévèrement contrainte par les accords de Bretton Woods.

Créé à New York en 1944, le système de Bretton Woods prévoyait que chacun des pays signataires s’engage à maintenir une parité fixe de sa monnaie nationale par rapport au dollar américain, lequel était garanti par une quantité d’or à raison de 35 dollars pour une once. En d’autres termes, en signant cet accord, les différents gouvernements acceptaient de maintenir la valeur de leurs monnaies respectives par rapport à l’or ; c'est-à-dire qu’ils s’interdisaient de dévaluer leurs monnaies nationales. Cette volonté de prévenir les dévaluations compétitives comme les politiques protectionnistes [4] ne doit rien au hasard ni à l’idéologie aveugle. La grande leçon de l’histoire, celle qui a été retenue par celles et ceux qui ont vécu ces deux guerres mondiales, c’est que le nationalisme économique contient en lui le germe de la guerre.

Tout au long des années 1950, le système de Bretton Woods fonctionna de manière satisfaisante mais c’est au cours de la décennie suivante que l’édifice commença à se fissurer. Le gouvernement des Etats-Unis, qui cherchait notamment à financer la guerre du Viêt Nam et la conquête de l’espace, créé une inflation sur le dollar américain. De stable au début des années 1960, la croissance de la base monétaire s’accélère et atteint plus de 7% sur la seule année 1969. Cette année là, alors que Neil Armstrong marche sur la lune, l’inflation du dollar américain est supérieure à 5%. Mais surtout, cette inflation se transmet mécaniquement à toutes les autres monnaies du système : comme le dollar baisse, les autres pays signataires de Bretton Woods sont contraints d’acheter des dollars pour maintenir la parité avec leurs monnaies. Rapidement, de nombreux pays accumulent d’immenses réserves de dollars et finissent par demander à la Fed d’honorer son engagement en les remboursant en or.

Le 15 août 1971, les Etats-Unis suspendent unilatéralement la convertibilité du dollar en or pour ne plus avoir à honorer les demandes qui émanent des autres pays du système – c’est le « Nixon Shock » ; le début de la fin de l’étalon-or. Le système de taux de changes fixes devient intenable est s’effondre définitivement en mars 1973 pour laisser place à un système de parité flottantes. A partir de ce moment précis et pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, plus rien ne limite la capacité de création monétaire des Etats. Nous sommes rentrés dans l’ère de la « fiat monnaie » ; une monnaie-papier dont la valeur n’est garantie par absolument rien d’autre que par le bon vouloir de nos gouvernements et de nos banques centrales.

D’où la fameuse loi de 1973.


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[1] Comprendre « le gouvernement de la France » ; le socialisme, disait Frédéric Bastiat, confond le gouvernement et la société.
[2] «Par des procédés constants d'inflation, les gouvernements peuvent confisquer d'une façon secrète et inaperçue une part notable de la richesse de leurs nationaux. Par cette méthode, ils ne font pas que confisquer : ils confisquent arbitrairement et tandis que le système appauvrit beaucoup de gens, en fait il en enrichit quelques-uns.» -- John Maynard Keynes.
[3] Notez tout de même que 4% capitalisés sur 10 ans, ça fait 48%...
[3] Les premiers accords du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT) seront signés 3 ans plus tard à Genève.

Taxe soda et conséquences inattendues…

J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer la «taxe soda» annoncée par François Fillon le 24 août dernier et me fais donc un devoir d’assurer un minimum de suivi sur le sujet. Voici donc les dernières nouvelles :

Coca Cola Entreprise, la filiale française du groupe, vient de publier un communiqué de presse dans lequel ils annoncent l’annulation de la célébration des 40 ans de l’usine des Pennes-Mirabeau (à coté de Marseille) prévue le 19 septembre prochain et de «réévaluer» l’opportunité de procéder à un investissement supplémentaire de 17 millions d’euros [1] sur ce même site de production. La firme d’Atlanta entend ainsi «protester symboliquement» contre cette taxe qui, estiment-ils, sanctionne leur entreprise et stigmatise leurs produits. Pour mémoire, Coca Cola maintient cinq sites de production en France, emploie 3 000 français [2] et a investi plus de 260 millions d’euros dans notre pays depuis 2004.

Aux souverainistes, dirigistes et autres thuriféraires de la toute-puissance étatique qui seront scandalisés par cet odieux chantage, je suggère de réclamer que l’Etat prenne les «mesures qui s’imposent» et «réaffirme son autorité» en interdisant définitivement la vente de Coca Cola en France. Non mais, c’est qui le patron ici ?

Aux buveurs de Coca Cola, aux salariés de Coca Cola Entreprise et de ses fournisseurs français, aux cafetiers, aux gérants de supermarchés, superettes, et autres magasins de distribution alimentaire et à tous ceux et celles qui, d’une manière plus générale, veulent que soit mis fin à cette fuite en avant vers toujours plus de taxes confiscatoires, de règlementations stupides et de dépense publique, je suggère de prendre une dernière cuite au whisky-Coca ; on n’a pas fini d’en baver…

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[1] Souvenez-vous, ce sont les euros que nous avons exporté en contrepartie de produits manufacturés à l'étranger qui reviennent sous forme d’investissements, d’emplois etc…
[2] Sans compter les nombreux emplois indirects liés, notamment, au fait que 90% des matières premières utilisées par les sites de production français proviennent de fournisseurs français.

Qui l’avait vu ?

Mark Thornton, sans aucun doute, dès juin 2006.

« La bulle immobilière qui commencé à la fin des années 1990 est un exemple classique d’échec gouvernemental appliqué aux crises immobilières. L'inflation de la masse monétaire qui a accompagné la politique de crédit bon marché de la Fed a conduit à une frénésie d'emprunt et de construction d'une échelle sans précédent. Le nombre de nouveaux logements construits, le prix des maisons neuves et existantes, et le montant total de l'investissement immobilier, tout indique que la politique de la Fed, combinée avec une politique fiscale favorable et des pratiques de crédit subventionnées par le contribuable [1], a créé la bulle immobilière.

La bulle n'est qu’une bulle d'air chaud. Des ressources réelles sont impliqués, qui ont été mal allouées pendant la bulle et qui devront subir des ajustements douloureux au lendemain de la bulle. Cela impliquera le chômage, des forclosures [2], et la faillite de nombreuses personnes, en particulier ceux qui travaillent dans la construction et les industries connexes. La macro-économie sombrera dans une récession ou une dépression qui pourrait être d'une durée très longue en raison de la lenteur du marché du marché immobilier par rapport au marché boursier, qui peut procéder à de très grands ajustements de valeur en une seule journée. »

Mark Thornton, extrait de la conclusion de « The Economics of Housing Bubbles », le 6 juin 2006. Vous trouverez d’autres références « autrichiennes » ici.

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[1] Freddie Mac, Fannie Mae...
[2] Procédure de liquidation des mortgages (crédits hypothécaires) aux Etats-Unis.

L’Etat peut tout, notamment le pire

Yuri Maltsev [1], un des membres de l’équipe chargée de préparer la perestroika, nous rapporte une anecdote amusante. Ça se passe en 1986, quand Mikhaïl Sergeyevich Gorbatchev, sixième secrétaire général du Parti communiste de l'Union soviétique, lance une grande campagne destinée à combattre les « revenus malhonnêtes » – c'est-à-dire tous les revenus autres que les salaires officiels versés par le gouvernement. Le fait est qu’à cette époque, le marché noir est absolument partout en URSS : les bureaucrates du parti chargé d’appliquer la réforme devront passer des milliers de jardin potagers au bulldozer pour tenter de mettre fin au commerce illicite de fruits et légumes.

Une des mesures de cette campagne prévoyait de contrôler strictement les prix dans les magasins coopératifs de manière à ce qu’ils ne s’écartent pas des prix pratiqués dans les magasins d’Etat. Par exemple, la viande de bœuf était supposée coûter 4 roubles par kilo tandis que la viande de lapin devait se vendre 3 roubles le kilo [2]. A l’annonce de cette mesure, Maltsev raconte que sa première pensée fût que les viandes de bœuf et de lapin allaient rapidement disparaître des étals tant le prix fixé par le planificateur était ridicule comparé au prix du marché (noir).

Après une vérification sur le terrain, Maltsev vérifie qu’effectivement, il est devenu absolument impossible d’acheter du lapin ailleurs que sur le marché noir où son prix, qui reflétait désormais le risque que prenait le vendeur en se livrant à cette activité, avait considérablement augmenté. En revanche, l’économiste fût extrêmement surpris de constater que la viande de bœuf restait disponible sur les marchés officiels. Voici le truc : vous pouviez effectivement acheter un kilo de bœuf pour 4 roubles mais, dans le kilo en question, vous aviez aussi un gros os de bœuf de telle sorte que finalement, vous aviez bien acquis pour 4 roubles de viande de bœuf au prix du marché (noir). Et comme il était impossible de trouver suffisamment d’os dans un lapin pour compenser l’écart entre le prix de marché et le prix officiel, la viande de lapin avait disparu des étals.

Dans un article sous-titré « L’Etat ne peut pas rien », Elisabeth Levy regrette que nos gouvernements aient perdu tout contrôle de l’économie et appelle de ses vœux un « G20 du volontarisme à l’issue duquel nos gouvernants prendraient collectivement les mesures qui s’imposent et réaffirmeraient leur autorité. »

Elisabeth a raison de dire que l’Etat ne peut pas rien. L’Etat, c’est sa définition, dispose du monopole de la coercition et à ce titre, il peut presque tout. L’Etat peut non seulement « règlementer les activités bancaires » mais il peut aussi nationaliser du jour au lendemain toutes les banques [3]. L’Etat peut non seulement « interdire certaines opérations financières » mais il peut tout aussi bien fermer définitivement les marchés financiers. L’Etat peut non seulement « rééquilibrer le rapport de forces entre actionnaires et salariés » mais il peut aussi fixer les salaires et interdire les bénéfices. L’Etat peut non seulement « lutter contre le dumping social ou fiscal » mais il peut avec la même facilité fermer nos frontières de manière parfaitement étanche dans un sens, dans l’autre ou dans les deux. Tout ceci – et bien plus – l’Etat peut le faire ; il suffit que les hommes et les femmes qui le dirigent le décident.

La question n’est pas de savoir si l’Etat peut ou ne peut pas légiférer, contrôler, inciter et contraindre ; ça n’a jamais été le problème. Le vrai problème, tel qu’il a toujours été, consiste à comprendre et à anticiper les conséquences des législations, des contrôles, des incitations et des contraintes. Les moyens mis en œuvre sont-ils adaptés aux fins cherchées ? En 1986, les pouvoirs dont disposait l’Etat soviétique étaient pratiquement sans limites mais ce qu’illustre la petite anecdote de Maltsev c’est que quelques soient les pouvoirs de l’Etat, il n’en reste pas moins contraint par la réalité. L’Union soviétique ne manquait ni de volontarisme, ni de coordination mais les moyens mis en œuvre n’étaient tout simplement pas adaptés aux fins cherchées.

Le discours politique, à de très rares exceptions près, ne restera jamais rien d’autre qu’une suite de mots mis bout à bout par un politicien qui cherche à nous vendre du rêve contre notre suffrage. Chaque politique volontariste est une nouvelle rustine destinée à colmater les fuites provoquées par les politiques volontaristes précédentes et qui provoquerons bientôt elle-même de nouvelles fuites que nous devrons à leur tout colmater avec de nouvelles politiques volontaristes. C’est le cycle sans fin d’autojustification de l’intervention publique qui déclenche des crises, les attribue au marché et recommence.

N’en déplaise aux apôtres de la toute puissance de l’Etat, la réalité c’est le marché. Même en Union soviétique, le marché existait toujours et ses lois continuaient à s’imposer au planificateur. La raison en est très simple : c’est que le marché, voyez vous, c’est nous ; le marché c’est le produit de nos réflexions, de nos raisonnements et de nos actions. Tant que les êtres humains disposeront d’une volonté propre et seront disposés à coopérer pacifiquement entre eux, aucune politique, aussi volontariste et coordonnée soit-elle, ne pourra jamais réussir à s’affranchir de cette réalité. Simplement : ça ne fonctionnera pas, les moyens mis en œuvre ne seront pas adaptés aux fins cherchées.

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[1] Mais qui avait la particularité de s’être intéressé de très prêt aux écrits des économistes libéraux et notamment ceux de Ludwig von Mises.
[2] On sait depuis que la plupart des prix en URSS étaient fixés en se fondant sur les échelles de valeurs de l’ouest capitaliste – le catalogue de la Redoute, entre autres, fût d’un grand secours pour le planificateur.
[3] Par exemple, début 2009, l’Etat Irlandais a nationalisé Anglo Irish Bank sans verser un centime de dédommagement à ses actionnaires.

Il faut réduire la dépense publique

Lorsque, le 24 août 1774, Louis le seizième annonce la nomination de Turgot au poste éminent de contrôleur général, les finances du royaume sont dans une situation des plus critiques. Sur la seule année 1770, par exemple [1], les dépenses royales se montent à 277,4 millions de livres tournois pour une revenu net de 164,4 millions ; soit un déficit budgétaire de 108 millions largement creusé par les intérêts de la dette.

Il n’y avait, à l’époque, pas d’euros, pas de mondialisation [2], pas de loi de 1973 et le moins que l’on puisse dire c’est que l’économie française était tout sauf libérale. En revanche, il y avait une monarchie qui dépensait sans compter et un peuple de France qui étouffait sous le poids de l’impôt. Le programme de Turgot, tel qu’il le présente lui-même au roi dès le lendemain de sa nomination, se résume en une phrase : «Point de banqueroute, point d'augmentation d'impôts, point d'emprunts.»

«Point de banqueroute» parce Turgot sait qu’un Etat qui annule sa dette se condamne à se passer de créanciers. L’idée selon laquelle l’Etat serait l’otage des financiers est une imbécilité : si vous deviez décider de ne pas rembourser vos dettes, vous commettriez un acte illégal – un vol – et recevriez la visite de la police. Si un Etat décide de ne pas rembourser sa dette, il ne commet aucun acte illicite puisque c’est justement lui qui fait les lois et ne risque pas de recevoir une visite de la police puisque c’est justement sa police. Les financiers, combien de divisions ? Aucune. L’Etat, par définition, détient le monopole de la violence et peut donc annuler ses dettes unilatéralement mais tout à un prix : plus personne ne voudra désormais lui prêter d’argent.

«Point d’augmentation d’impôts» parce que le peuple de France croule déjà sous le poids des taxes. Au-delà même de l’impopularité d’une telle mesure, c’est tout simplement une question d’efficacité fiscale : Turgot a compris que trop d’impôt tue l’impôt. Pour la même raison qu’une augmentation des taxes sur le tabac réduit la consommation de tabac, une augmentation des impôts sur les activités créatrices de richesses réduit l’incitation qu’on les gens à créer de la richesse ou les incite à aller la produire sous des cieux plus cléments.

«Point d’emprunts» parce que la dette n’est pas gratuite et devra un jour ou l’autre être remboursée par de nouveaux impôts (ce sont les français-contribuables qui paieront), par de l’inflation [3] (ce qui revient au même) ou par un défaut de paiement (ce sont les créanciers qui paieront). En ce bas monde, rien n’est gratuit ; il y a toujours quelqu’un qui paie et si vous ne savez pas qui paie, c’est probablement que c’est vous.

Ce que Turgot veut faire – et ce qu’il va effectivement réussir à faire – c’est baisser la dépense publique. Turgot a compris que l’Etat ne créé pas de richesses ; il se contente de les transférer d’une partie de la population vers une autre (en général, ceux qui le servent). Cette idée vous choque ? Pourtant, c’est la justification même de l’intervention publique dans l’économie : l’Etat, contrairement aux acteurs privés, n’agit pas dans le but de créer de la valeur ajoutée et donc de la richesse – n’est ce pas précisément pourquoi vous le plébiscitez ? L’accroissement de la dépense publique n’a jamais eut qu’un seul effet, celui d’inciter un peuple à consacrer ses efforts à la captation de subsides publics – c'est-à-dire de richesses produites par les autres – plutôt qu’à la production de nouvelles richesses.

Louis XVI, cédant aux pressions de certains membres influents de la cour et notamment de l’entourage de la très dépensière Marie-Antoinette [4], finira par renvoyer Turgot. L’histoire, dans son implacable logique, poursuivra son cours.

Depuis 1975, les gouvernements qui ont présidés aux destinées de ce pays n’ont pas voté un seul budget à l’équilibre. Depuis 36 ans, nous avons dépensé toujours plus et avons accumulé une dette colossale. Je dis bien « nous » parce qu’à la différence de nos ancêtres « nous » avions le choix. Accuser les marchés financiers, les agences de notation, les paradis fiscaux, la loi de 1973, l’euro, la mondialisation ou que sais-je encore relève de l’aveuglement ou de la démagogie : nous sommes les seuls responsables. La liberté est indissociable de la responsabilité. Depuis 1975, nous avons eu à de nombreuses reprises l’occasion de renverser cette tendance mais nous ne l’avons pas fait. Nous en sommes arrivés au point où une légère réduction du déficit est unanimement qualifiée de « politique de rigueur » !

Aujourd’hui, ce système est à bout de souffle ; nous allons devoir payer et honorer les engagements de ceux qui nous ont précédés. Tâchons seulement, pour le bien de nos enfants, de tirer les leçons du passé.

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[1] Les chiffres fiables sont rares ; j’emprunte ceux-ci à Alain Guéry, « Les finances de la monarchie française sous l’ancien régime » (1978)
[2] Des barrières douanières il y en avait même entre les différentes provinces de France… C’est dire !
[3] Quand Saint Louis étend le cours légal de la livre tournois au royaume en 1262, une livre tournois vaut environ 98 grammes d’argent mais sous le règne de Louis XVI, elle ne vaut plus que 4,05 grammes d’argent ; en 5 siècles, la monnaie des rois de France a perdu 96% de sa valeur.
[4] Qui ne supportait pas d’avoir à négocier ses dépenses auprès du ministre.

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