Société Nationale des Catastrophes Financières

Nous ne reviendrons pas ici sur la qualité des services de la SNCF, sur son incapacité chronique à respecter ses horaires, sur sa grille tarifaire kafkaïenne, sur le confort spartiate de ses trains, sur la vétusté alarmante de ses équipements ni sur les grèves à répétition de son personnel. Non, cette fois-ci, nous allons parler finances parce qu’au cas où ça vous aurait échappé, la situation est dramatique.

Malgré la quantité phénoménale d’aides publiques dont bénéficie le groupe — entre 11 et 12 milliards chaque année sans compter les subventions d’équilibre pour le régime spécial de retraite des cheminots (3.36 milliards en 2014), le CICE et sans doute encore quelques autres — la SNCF parvient à peine à présenter un résultat net positif. Au dernier pointage, pour l’année 2016, elle arrive péniblement à 567 millions après avoir perdu plus de 12.2 milliards en 2015 pour cause de dépréciation d’actifs.

Bref, la SNCF est un gouffre financier qui accumule les pertes et donc, une dette abyssale. Au 31 décembre 2016, il y en avait pour 52.8 milliards d’euros ; une masse qui augmente de 1.5 milliards tous les ans, soit à peu de chose près la charge de la dette. C’est-à-dire que la SNCF doit contracter de nouveaux emprunts pour assurer le service des précédents.

Pire encore : les fonds propres du groupe sont négatifs de près de 7.3 milliards. Pour faire simple, ça signifie que la SNCF doit plus d’argent que la somme de tout ce qu’elle possède — et encore, ça suppose que la valorisation des actifs au bilan entretient quelque rapport avec la réalité ; la dépréciation spectaculaire opérée en 2015 laisse à penser que c’est loin d’être le cas.

Bref, c’est un gouffre. Après Areva et EDF pour ne citer que les cas les plus récents, c’est une nouvelle démonstration de qu’Henri Fayol appelait « l’incapacité industrielle de l’État ». C’était en 1921.

Évidemment, n’importe quelle société normale dans une telle situation serait déjà en liquidation. Sauf que la SNCF n’est pas une société normale : c’est un Établissement Public Industriel et Commercial (ÉPIC) [1] et il se trouve que, au regard de nos lois, un ÉPIC ne peut pas faire faillite.

Et c’est là que, pourvu qu’on ait l’humour grinçant, cette histoire devient vraiment amusante : si la SNCF se révèle incapable de rembourser ce qu’elle doit — et elle n’y arrive, je le répète, qu’en empruntant de quoi rembourser ses dettes existantes — l’État ne peut pas faire autrement que prendre la note à sa charge. En s’autres termes, l’État, même s’il s’en défend, est nécessairement solidaire des dettes de son ÉPIC.

Or voilà : l'essentiel des 52.8 milliards de dette de la SNCF ne sont pas comptabilisés dans notre dette publique [2] et ils ne font, sauf erreur de ma part, même pas partie des fameux « engagements hors bilan de l’État » [3] puisqu’officiellement, justement, l’État ne s’est engagé à rien [4]. Sauf qu’évidemment, personne ne s’y trompe. Les agences de notation, par exemple, ont parfaitement compris la règle implicite du jeu (voir cet article de l’Ifrap) : la SNCF est notée AA- par Standard & Poor’s et Aa3 par Moody’s.

Et c’est là qu’on touche au sublime : puisqu’il est bien entendu de tout le monde que l’État et donc les contribuables sont nécessairement solidaires des dettes de la SNCF, cette dernière peut continuer à s’endetter à bon compte, comme si de rien n’était. Le résultat c’est qu’en 2015, SNCF Réseau s’offrait une émission sur — tenez-vous bien — un siècle à 2.78% et l’année dernière, elle émettait pour 900 millions d’obligations « vertes » sur 15 ans… pour à peine 1.104%.

À moins d’une prise de conscience de nos élus qui ne peut venir que d’une prise de conscience de chacun d’entre nous, ça finira mal, forcément.

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[1] Elle est même constituée de trois ÉPIC ; le groupe SNCF lui-même et ses deux principales filiales : SNCF Mobilité et SNCF Réseau (ex RFF).
[2] Erratum (2017-03-20 @ 09:45) : dans une version précédente de cet article j'ai écrit, à tort, que ça s'appliquait à l'ensemble de la dette de la SNCF : en réalité, l'Insee a récemment requalifié une partie de la dette de SNCF Réseau en dette publique (10.9 milliards en 2014).
[3] Seules les subventions d’équilibre du régime spécial de retraite des cheminots semblent avoir été comptées par la Cours des comptes.
[4] Edit (2017-03-20 @ 09:45) : à l’exception des 1.5 milliards de l'ex-SAAD qui restent en bilan de SNCF Mobilité mais mais donnent lieu, en contrepartie, à une créance du même montant sur la Caisse de la dette publique (CDP).

Note complémentaire sur la dette (2017-03-20 @ 10:50)

L’endettement financier net de la SNCF est décrit dans rapport annuel (page 93).

Au total, le passif financier de la SNCF atteint le 67.2 milliards d’euros. Ce sont essentiellement des emprunts obligataires (83.1%), des billets de trésorerie, des emprunts bancaires (3.4%) et des instruments de financement à court terme (comme des billets de trésorerie, 6.6%).

Sur ces 67.2 milliards, l’Insee a requalifié 10.9 milliards de la dette de SNCF Réseau en dette publique en 2014 (Note 6.1.2.7. voir page 98).

Le passif financier de la SNCF comprend également les 1.5 milliards dont la charge a été transférée à l’État en 2006 (a.k.a. SAAD : à l’époque, il y en avait pour 8 milliards) puis à la Caisse de la Dette Publique en 2007. Cette dette est toujours présente au bilan de SNCF Mobilité mais elle est compensée par une créance du même montant sur la CDP (voir note 6.1.2.2, page 96).

Face à ces dettes, la SNCF revendique 14.4 milliards d’actifs d’où un endettement net de 52.8 milliards. Après retraitement des 12.4 milliards (10.9+1.5) déjà intégrés à la dette publique, il reste 40.4 milliards qui ne sont pris en compte absolument nulle part.

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