Pourquoi les taxes favorisent rarement les investissements

Supposez que vous soyez sur le point de créer votre entreprise. Après une étude approfondie du sujet, vous en arrivez à la conclusion que vous allez devoir investir 100 de votre poche, que cette entreprise devrait, si tout se passe comme prévu, vous permettre de vous payer un dividende de 5 tous les ans pendant les 10 prochaines années et vous estimez que vous pourrez la revendre 110 dans 10 ans. Question : vous investissez ou pas ?

Un des critères les plus largement utilisés par celles et ceux qui s’interrogent sur l’opportunité d’investir dans une entreprise (ou n’importe quoi d’autre) est celui de la Valeur Actuelle Nette (VAN). La VAN ($V_0$) d’un projet d’investissement peut s’écrire comme suit :

$$V_0 = \sum_{t=0}^T F_t.(1+k)^{-t}$$

Où $T$ représente la durée totale, exprimée en années, de cet investissement (laquelle peut être « infinie » ou plutôt indéterminée), les $F_t$ représentent tous les flux de trésorerie liés à cet investissement (négatifs lorsqu’ils sortent de la poche de l’investisseur et positifs lorsque ce sont des profits) et $k$ représente le taux de rendement [1] minimum attendu par l’investisseur. La règle d’utilisation est très simple : si la VAN ($V_0$) est positive, vous investissez ; si elle est négative, vous vous abstenez.

Dans le cas présent nous avons un seul $F_t$ négatifs de 100 à la création de l'entreprise (l'année 0) qui sera suivit de 10 dividendes annuels de 5 auxquels viendront se rajouter, la 10ème et dernière année ($T$), les 110 du prix de revente de votre entreprise. Reste à déterminer le taux de rendement minimum à partir duquel vous acceptez de prendre le risque de vous lancer dans ce projet ($k$, le taux d'actualisation). Par hypothèse, nous allons supposer que le taux des obligations d'État à 10 ans est actuellement d'un peu moins de 5% et que vous n'êtes pas trop gourmand : vous vous satisferez d'un taux de 5%.

Notez ici que vous seriez bien mal avisé d'utiliser un taux inférieur à celui des obligations d'État. La raison en est fort simple : si vous investissez vos 100 dans une telle obligation, vous gagnerez du 5% annuel sans prendre le moindre risque et sans travailler. Dans le cadre de la création d’une entreprise, vous utiliserez donc nécessairement un taux plus élevé (et je doute que vous vous contenteriez de 5% mais admettons).

Si vous faites le calcul, vous devriez tomber sur une VAN de l'ordre de 6.14 : vous avez donc tout intérêt à créer cette entreprise.

Supposons que le gouvernement décide de prélever une taxe de 10% sur les dividendes de telle sorte que vous ne pourrez plus vous payer que 4.5 par an. Modifiez ce paramètre dans la formule et vous devriez constater que la VAN de votre investissement n’est plus que de 2.28 : ça reste un projet viable mais il est nettement moins attractif qu’avant la taxe.

Supposons maintenant que le gouvernement décide de taxer aussi votre plus-value à la revente à hauteur de 40% (vous ne touchez plus 110 la 10ème année mais 106). Recalculez et vous trouvez une VAN négative (-0.18) ce qui signifie, très concrètement, que votre projet n’est plus économiquement viable [2]. Vous n’avez matériellement aucun intérêt à créer cette entreprise.

Dernier exercice : supposons que cette dernière taxe (40% de votre plus-value) ne soit pas encore en vigueur mais que Jean-Luc Mélenchon — qui a une chance du deux d’être élu — menace de taxer 80% de votre plus-value. En d’autres termes, vous avez une chance sur deux de récupérer vos 110 et une chance sur deux de ne toucher que 102 — ce qui fait (aussi) un prix de revente net d’impôts de 106 en moyenne. Là encore, la VaN est négative : vous n’investissez pas.

De ces trois petits exercices, vous devriez sans peine déduire deux choses très importantes. Primo, le niveau actuel des impôts sur les dividendes ou les plus-values ne fait pas que pénaliser ceux qui touchent des dividendes ou sont susceptibles de faire des plus-values aujourd’hui, il a un effet direct et presque mécanique sur les investissements : plus ces impôts sont élevés, moins nombreux sont les projets économiquement viables. Deuxio, dans un environnement fiscal instable, même les taxes qui n’existent pas encore sont susceptibles d’avoir le même effet : les investisseurs intègrent cette possibilité dans leurs calculs (de façon beaucoup moins naïve et brutale que ce que nous venons de faire, évidemment).

Vous pouvez maintenant reprendre une activité normale tout en gardant à l’esprit, la prochaine fois qu’on vous proposera de taxer les dividendes ou les plus-values pour favoriser les investissements et la croissance, qu’il y a assez peu de chances pour que ça fonctionne.

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[1] Techniquement, c'est un taux d'intérêt et pas un taux de rendement mais peu importe.
[2] Vous utiliseriez mieux votre argent, sans risque et sans effort, en le prêtant à l'État.

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